Le Spot idéal : Terrain neutre
Le Théâtre de Rougemont s’est associé à deux figures importantes de la scène québécoise, SERGE DENONCOURT et MICHEL TREMBLAY, pour présenter la comédie dramatique Le Spot idéal. Virage en douceur.
Aidés par des experts en marketing et en relations publiques, les producteurs de "théâtre en été" jouent le tout pour le tout. Depuis quelques saisons, en réponse à la concurrence des nombreux festivals montréalais (qui ont fait chuter leur auditoire), ils nous répètent que le théâtre d’été a fait "un virage". Désormais, les directeurs de certaines salles veulent proposer des productions de qualité, à mille lieues des farces légères jadis présentées, telles que Condo, condom, qu’on donc du fun.
Certains de mes collègues sont tombés dans le panneau. Or, permettez-moi de vous offrir un autre son de cloche: le terme "virage" est inapproprié. Il faudrait plutôt parler de petite bifurcation, de légère courbe, ou d’ajustement. Mais pas d’un virage à 180 degrés.
Soyons clair: le mandat du théâtre d’été demeure le même, soit divertir le grand public (en majorité d’âge mûr) dans un cadre champêtre agréable. L’autre mandat… tacite, si j’ose dire, c’est de permettre à des centaines de comédiens et d’artistes de la scène d’avoir un revenu d’appoint, facilement gagné, et de passer un été à la campagne avec les amis, voire en famille.
Le Théâtre de Rougemont ne fait pas exception. Louis Tremblay, le propriétaire et chef cuisinier du restaurant Les Quatre Feuilles, veille avec ses deux fils et plusieurs membres de la famille aux opérations. L’établissement offre un forfait souper-théâtre. Les gens sont accueillis avec chaleur et bonhomie.
Côté théâtre, Louis Tremblay a pris le risque de proposer une comédie dramatique. La pièce à l’affiche depuis le 6 juin et jusqu’au 3 septembre, Le Spot idéal, est une étude des moeurs de la classe moyenne, de l’auteur britannique John Godber. Créée en 1998 à Scarborough, dans le Yorkshire (au théâtre que dirige Alan Ayckbourn), Le Spot idéal (The Perfect Pitch) a été traduite et adaptée par Michel Tremblay (aucun lien de parenté avec le proprio), mise en scène par Serge Denoncourt, et est interprétée par Adèle Reinhardt, Alain Zouvi, Catherine Lachance et Donald Pilon.
Sur papier, tout ça est alléchant. Dans les faits, cette comédie a beau nous faire (un peu) réfléchir sur les valeurs et les préjugés des classes sociales, elle y parvient avec de grosses ficelles et un ton très premier degré.
Dans un terrain de camping en Estrie, près de Granby, deux couples aux antipodes se rencontrent. L’un, cultivé et financièrement à l’aise, écoute des adagios et se plonge dans la lecture du dernier Marie Laberge. L’autre, peu instruit et au look de motards, occupe une roulotte de fortune et dérange tout le voisinage avec ses sulfureux ébats.
Proximité oblige, les deux couples fraterniseront malgré leurs différences. Mais, après quelques virées bien arrosées, le "drame" éclatera. On découvrira que les deux bourgeois ne sont pas si beaux et civilisés que ça; tandis que les deux paumés ne sont pas si vulgaires et bestiaux qu’ils en ont l’air… Bonjour, la réflexion psychologique!
La mise en scène de Serge Denoncourt est bâclée et peu inspirée. Il multiplie les longs et nombreux noirs entre chaque scène, avec une trame sonore agaçante (un ersatz de la musique du film Paris, Texas) signée Stéfane Richard qui vient aussi gauchement souligner les revirements de l’action. Denoncourt nous prive même d’une scène qui aurait pu être le clou du spectacle: le concours de chanteurs amateurs qui permet à la bourgeoise Yvonne (Adèle Reinhardt, hilarante bien que parfois trop criarde) de gagner un prix pour son interprétation de Goldfinger. Or, Denoncourt fait jouer l’enregistrement du tube de Shirley Bassey dans le noir sans nous montrer, ne fusse que brièvement, la prestation d’Yvonne !?!
Le théâtre d’été a ses raisons que le théâtre ignore…
Jusqu’au 3 septembre
Au Théâtre de Rougemont