Olivier Choinière : Contre nature
Scène

Olivier Choinière : Contre nature

Soit-disant repêchée dans une boîte de vieux textes à l’École nationale de théâtre d’Agromorphobia, qu’OLIVIER CHOINIÈRE portera à la scène, aborde deux obsessions de la société contemporaine: la santé et la nature. Place au "mélodrame végétarien…

Il faudrait se lever de bonne heure pour faire avouer à Olivier Choinière qui est le véritable auteur d’Agromorphobia, un texte qu’il monte, comme Tsé-Tsé l’an dernier, sur la terrasse du Théâtre d’Aujourd’hui. Imperturbablement sérieux sous ses airs d’étudiant nerd, le jeune dramaturge et metteur en scène n’en démord pas: il s’agit bien d’Elvire O’Connor, un singulier personnage à la biographie improbable. Né(e) en Irlande en 1846, poussé à l’exil par la famine, puis élevé comme un garçon par un médecin de Grosse-Île ayant découvert sa condition d’hermaphrodite (!), O’Connor aurait écrit Agromorphobia à la veille de sa mort, juste avant la Deuxième Guerre mondiale. Bon, admettons…

Soit-disant repêchée dans une boîte de vieux textes donnés à l’École nationale de théâtre, la pièce a frappé Choinière par l’actualité de son discours sur la santé et la nature, deux obsessions de la société contemporaine. Le metteur en scène voit un caractère prophétique dans ce "mélodrame végétarien", où quatre personnages suivent une cure de santé, à base de fruits et de légumes, sur une étrange île.

"On a là, déjà, toute la recherche du bien-être, du bonheur individuel et de la bonne santé, explique Olivier Choinière. Mais ce qui m’intéresse, c’est surtout cette question: est-ce qu’il faut changer le monde, ou n’est-ce pas plutôt à nous de nous adapter et de nous transformer? Si on suit l’histoire des grandes idées, et notamment au XXe siècle, il y a toujours eu une volonté de transformer le monde, par des idées, des théories. Le personnage de Gronome, le maître de l’île, se demande si ce ne serait pas plutôt à nous de muter pour être mieux adaptés à notre environnement, de cesser d’exploiter et de contrôler la nature." Grosse question, à l’heure où l’espèce humaine est confrontée de plus en plus à des changements d’ordre technologique, politique, environnemental, économique…

Un thème qui suit constamment l’auteur d’Autodafé: "C’est toujours cette question-là, de l’homme qui par la pensée, par le rêve, veut transformer le monde, et les prétentions qui en découlent. Toute l’histoire de l’humanité est là: dans ce décalage entre une idée et son application."

Lui-même fruit des bizarreries de la nature, ayant "vécu autant comme une femme que comme un homme", Elvire O’Connor nous donne accès aux deux points de vue antagonistes sur cette question de la transformation de la nature. "Il nous présente les théories de Gronome comme quelque chose de fascinant. Et en même temps, sa pièce semble dire que ce retour de l’homme à ses sources naturelles peut être un danger s’il est poussé à l’extrême. Ça peut devenir une idée tyrannique: la tyrannie du bonheur, de la santé et du bien-être."

"Je pense aussi que c’est un peu la grande illusion du néo-libéralisme, ajoute Choinière. Ce discours selon lequel il n’y a pas vraiment d’idée derrière ça, c’est le marché, et on traite ça comme des espèces de lois naturelles… Comme s’il n’y avait plus personne qui était responsable. On oublie que c’est aussi une idéologie, de dire que tout va être naturel. À son paroxysme, cette idée-là peut provoquer certaines horreurs. On vit dans un espèce de monde de requins où le petit est bouffé par le plus gros, mais il faut l’accepter parce que c’est dans l’ordre des choses, parce que c’est naturel."

On le voit, ce "spectacle-dégustation" où le public pourra croquer quelques plats… végétariens, bien sûr!, conçus par le chef du Pistou, marie légèreté et réflexion. C’est là tout l’objectif du "théâtre d’été urbain de série B", la forme que Choinière a créée l’an dernier et dont il espère faire une tradition estivale.

"On veut poser ces questions dans une forme d’apparence légère. Et parce que le public s’attend à moins de choses et vit moins dans l’appréhension, le surprendre le plus possible par des propos sérieux ou profonds, auxquels il ne s’attend pas. L’humour restant toujours présent, je pense que le théâtre d’été urbain de série B peut être une bonne manière d’évacuer toutes sortes de peurs, d’angoisses, liées aux changements physiques ou idéologiques."

Et ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir au théâtre des effets spéciaux, à la limite du gore, créés à partir de fruits et légumes…

Du 1er au 25 août
Sur la terrasse du Théâtre d’Aujourd’hui

(En cas de pluie, la décision d’annuler ou pas sera prise le jour même vers 18 h.)