Georges Lavaudant : L'origine du monde
Scène

Georges Lavaudant : L’origine du monde

La trilogie de L’Orestie, créée par la troupe du Théâtre de l’Europe, lancera la programmation du 50e anniversaire du TNM le 4 septembre. Voir a rencontré, au printemps dernier, son metteur en scène GEORGES LAVAUDANT dans ses bureaux de l’Odéon à Paris.

(PARIS) Sensible, tourmenté et généreux, le metteur en scène Georges Lavaudant fait partie du club sélect (une demi-douzaine de membres) des grands metteurs en scène français. Depuis un quart de siècle, il a laissé des traces de son travail aux quatre coins de l’Hexagone, de Grenoble en Avignon, en passant par la Comédie-Française et l’Odéon, un des plus prestigieux théâtres européens qu’il dirige depuis mars 1996.

Éclectique dans ses goûts, Georges Lavaudant travaille des matériaux dramatiques très divers: des auteurs contemporains comme Jean-Christophe Bailly ou Jean-Marie Le Clézio; des classiques (Shakespeare, Musset); et, en ce qui nous concerne, les Grecs. Dès le 4 septembre, le TNM présente sa mise en scène de L’Orestie, d’Eschyle, qu’il a montée en décembre 1999. "À l’Odéon, une Orestie proche, retenue et poignante", avait alors titré le journal Le Monde. C’est ce spectacle – défendu par les comédiens de la troupe de l’Odéon et aussi par la grande actrice Christiane Cohendy dans le rôle de Clytemnestre – qu’on verra à Montréal puis en tournée provinciale dans le cadre de France au Québec/la saison.

Parmi ses réalisations à l’Odéon, le directeur a rétabli la troupe de comédiens de la maison. "Les spectacles qui m’ont le plus ému dans ma vie, estime Georges Lavaudant, ce sont des spectacles créés par des troupes: Ariane Mnouchkine, Pina Bausch, Bob Wilson… Bien sûr, il y a des exceptions. Mais quand des artistes vivent durant deux, trois ou quatre ans ensemble, ils peuvent partager les mêmes valeurs esthétiques, politiques et affectives. Il y a quelque chose de plus qui se passe sur scène avec des spectacles défendus par une troupe permanente plutôt qu’avec ceux qui réunissent des acteurs de façon éphémère."

Voir a rencontré le metteur en scène le printemps dernier, dans ses bureaux de l’Odéon-Théâtre, à deux pas des Jardins du Luxembourg. "Avant de créer le spectacle, nous étions tous comme des cancres qui ne connaissaient pas les mythes et les dieux grecs", raconte l’homme de théâtre qui abordait pour la première fois l’oeuvre d’Eschyle. "On a fait notre cours de rattrapage, grâce au dramaturge Daniel Loayza, qui a signé le texte français de L’Orestie. Loayza a été comme un ange gardien durant notre travail préparatoire; il nous indiquait les contre-sens et les écarts dans nos interprétations."

Eschyle est considéré comme le père de la tragédie. Après lui, Sophocle et Euripide approfondiront le genre. "La tragédie d’Eschyle est, comme le dit Aristote, une tragédie simple. Elle repose sur un fait unique, entier, d’une certaine étendue; mais elle se borne à peindre les sentiments qui en résultent, soit chez le choeur, soit chez les personnages en scène. Il n’y a pas à proprement parler d’action ni d’intrigue, et tout l’intérêt vient de la peinture des sentiments et de leur gradation", explique un de ses traducteurs, Émile Chambry.

"Comme metteur en scène, ajoute Lavaudant, je ne peux avoir de plus beaux cadeaux que ce matériel. Il y a deux mois, je suis allé à Syracuse, en Sicile. J’ai vu avec beaucoup d’émotion le théâtre où Eschyle a fait jouer ses pièces il y a plus de 2400 ans! Est-ce qu’Eschyle pouvait envisager que 2400 ans plus tard, un metteur en scène français discuterait de ses pièces avec un journaliste québécois dans un bureau parisien… C’est un miracle de l’humanité!"

L’Agamemnon est la première pièce de LOrestie la trilogie comprend aussi Les Choéphores et Les Euménides. Les trois pièces se font suite. La première a pour sujet le meurtre d’Agamemnon par sa femme Clytemnestre, secondée par son amant Égisthe; la seconde, la vengeance qu’Oreste tire des deux meurtriers de son père; et la troisième, le jugement d’Oreste, poursuivi par les Érynies et acquitté par la déesse Athéna. Un drame satirique, Protée, dont il ne reste rien, concluait cette trilogie.

Un voyage moderne
Georges Lavaudant a voulu en faire "un voyage moderne, contemporain et sans âge". "La première pièce est plus statique, presque archaïque dans la simplicité de sa mise en scène; la seconde (Les Choéphores) réserve plus d’effets dramatiques; et avec Les Euménides, on tombe carrément dans le monde d’aujourd’hui avec la vidéo, les éclairages néon… Pour moi, c’était important de donner un traitement particulier à chacune des pièces. Car elles ont des enjeux d’écriture très différents."

"Le théâtre grec cherche toujours l’origine de la faute. Il y a traditionnellement deux clans, deux familles qui s’accusent. Il y en a toujours un qui a commencé avant, alors on trouve toujours un pour exercer la vengeance. Ici, dans L’Orestie, c’est le sacrifice d’Iphigénie, mais Agamemnon et sa famille trouveront d’autres fautes dans la famille de Clytemnestre. Ce schéma sera repris plus tard dans le théâtre de Shakespeare: Hamlet, c’est un remake de l’histoire d’Oreste. Ça se ressemble sur plusieurs plans. De toute façon, on n’invente rien. Même les gestes artistiques les plus spontanés reposent sur des influences. Et ce sont toujours des intuitions qu’on met en scène. Pas des analyses."

On dit souvent que L’Orestie nous montre la fondation du tribunal humain, de la justice telle qu’on le connaît aujourd’hui. Car c’est la première fois que les hommes jugeront d’un crime, auparavant c’étaient le rôle des dieux. "Les hommes deviennent maîtres de leur destin, mais sous l’influence de la déesse Athéna qui fait basculer le vote du tribunal, explique le metteur en scène. La pièce est souvent mal comprise. On la présente simplement comme une émancipation, comme une victoire de la démocratie et de la liberté. Alors qu’elle raconte le contraire: les hommes votent la mort d’Oreste. Et c’est grâce à la voix d’Athéna qu’il sera acquitté. Le tribunal humain n’aurait donc de valeur que s’il tient compte de la sagesse des dieux. Eschyle nous dit que les hommes ne peuvent pas avoir l’arrogance d’oublier leurs origines.

"C’est peut-être l’un des problèmes de notre société actuelle. Il n’y a plus de Dieu. Le rapport aux dieux chez les Grecs relevait plus de l’animisme que de la conception fataliste et monothéiste des religions actuelles. Aujourd’hui, qu’est-ce qui nous renvoie à notre propre réflexion, à la capacité des hommes à réfléchir sur eux-mêmes?"

L’Orestie
Du 4 au 16 septembre
Au Théâtre du Nouveau Monde