

Les 20 ans de RBO : L’humour fou
En 1981, les jeunes fondateurs de ROCK ET BELLES OREILLES ignoraient que leur bébé allait changer le paysage de l’humour au Québec. Vingt ans plus tard, le groupe souligne son anniversaire avec un DVD, deux CD de sketches et de chansons, et aussi un documentaire en rafale à TVA. Et devinez quoi? C’est toujours aussi drôle et méchant.
Luc Boulanger
Photo : Jean-François Leblanc (Agence Stock)
Ils ont moins de cheveux mais beaucoup plus d’argent qu’à l’époque où ils animaient leur émission dans le studio enfumé d’une radio communautaire. Certains ressemblent davantage à des hommes d’affaires qu’à des humoristes irrévérencieux. À vrai dire, assis autour d’une table ronde dans une salle de réunion, avec leur gérant et leur relationniste aux aguets, les six membres de RBO sont assez intimidants pour le journaliste solitaire…
Parce qu’il retrouve devant lui énormément de talent, d’intelligence, de sensibilité, d’ego et d’esprit caustique. Mais aussi, parce que même après la séparation du groupe, les ex-vedettes de RBO forment une solide équipe faisant front commun envers et contre tous.
Vingt ans après leurs débuts à CIBL, Rock et Belles Oreilles demeure la formation qui a le plus bouleversé le paysage de l’humour (et du showbiz) québécois: 32 prix et distinctions en télé, radio, spectacles, disques, vidéoclips et publicité! "Les Beatles de l’humour au Québec", pour emprunter la formule du patron de Musique Plus, Pierre Marchand.
Or, contrairement à beaucoup de groupes d’ici et d’ailleurs dont les séparations, après un intense succès, ont laissé d’amères blessures, la gang de RBO semble toujours s’entendre à merveille. Certes, ils se voient moins souvent, mais ils se téléphonent régulièrement. Ils travaillent parfois les uns avec les autres sur des projets. Et ils s’encouragent mutuellement dans leurs carrières respectives. "On est comme une famille, lance Yves Pelletier. Les liens vont toujours rester." "Quand j’ai commencé à COOL-FM, ajoute Richard Z. Sirois, Guy m’a appelé d’un bistro de Paris pour me souhaiter bonne chance!"
D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que Guy A. Lepage pensait à son ami déjà séparé du groupe. En 1993, Sirois animait l’émission du midi à CKOI et RBO occupait la même case horaire à CKMF. "On a décidé de se parler au téléphone en ondes, raconte Sirois. De toute ma vie, je ne me suis jamais autant fait engueuler pour une chose! Même pas par mon père. Mon boss n’a pas apprécié du tout… Il m’a dit que je ne pouvais pas faire ça, que c’étaient des compétiteurs. Je lui ai répondu que mes grands chums ne pouvaient pas être des compétiteurs."
Au début était le plaisir. Si les membres de RBO, six ans après leurs adieux, restent aussi solidaires, c’est parce qu’ils n’ont toujours voulu qu’une chose dans la vie: s’amuser! "RBO, c’est un très long accident de parcours, affirme Guy A. Lepage. Pour nous, cette belle aventure pouvait finir du jour au lendemain. On a commencé à CIBL dans le but de compléter un stage en communication à l’UQAM. Notre émission s’intitulait Le Rock de A à Z, avec (d’où le gag) Guy A. Lepage et Richard Z. Sirois. Après un an et demi, on a fait un mini-spectacle pour le Radiothon de CIBL. Et notre univers sonore s’est bien transformé visuellement." "Ce qui nous a sauvés, ajoute Bruno Landry, c’est justement de pouvoir passer constamment d’un média à l’autre: télé, radio, spectacles, chansons…"
Ce qui n’a pas dû leur nuire, non plus, c’est que ces étudiants sont rapidement devenus des artistes professionnels, avec un gérant toujours fidèle, Jacques Primeau, et une compagnie bien à eux. "On a fondé une compagnie pour recevoir des subventions du gouvernement pour la création d’emploi, explique André Ducharme. Alors, avec des salaires, on pouvait rester ensemble sans chercher de jobs ailleurs, et se concentrer sur l’humour. On revendiquait tout. Du rire grossier au comique songé… Il fallait seulement que la gang trouve ça drôle. Si on riait entre nous, c’était bon. Ç’a toujours été notre seul critère."
Humour extrême
Aujourd’hui, il faut regarder du côté du Canada anglais, avec, par exemple, Mary Walsh, Rick Mercer et les comédiens de This Hour Has 22 minutes, pour retrouver une charge humoristique aussi percutante sur des sujets de l’actualité. "On aimait l’humour limite et extrême à la Monty Python, remarque Yves Pelletier à propos de leurs influences. Les blagues ironiques, sarcastiques, l’humour qui fait grincer des dents."
Sont-ils allés parfois trop loin? "Non. À mon avis, rétorque André Ducharme, l’humour doit repousser les limites. Un humoriste doit emprunter des terrains inconnus au risque de se tromper. Sinon, il devient un fonctionnaire de l’humour; il fait des jokes safe et ne dérange personne."
Selon eux, ce qui a le mieux vieilli dans leurs sketches (ces derniers mois, ils se sont tapés de nombreuses sessions d’écoute pour compiler les 20 chansons et 43 sketches des albums), ce qui vieillit bien, donc, c’est la critique sociale. "Quand un texte a un point de vue éditorial sur la société, ça reste toujours aussi bon, dit Lepage. Ce qui vieillit le moins bien, ce sont les parodies directes d’émissions ou de situations très ciblées. Par exemple, une réaction de Jean Doré sur un dossier municipal de l’époque…"
"En passant de CIBL à CKOI, on n’a pas changé de ton, observe Lepage. On parodiait des animateurs de CKOI et le style de la station. Notre patron nous disait: "Vous mordez la main qui vous nourrit." Et on répondait: Oui! C’est à prendre ou à laisser. Si le prix à payer, c’est que plus personne ne nous engage, tant pis!"
"Une des choses qui me manquent le plus, ajoute Chantal Francke, c’est l’esprit d’équipe. La capacité qu’on avait à mettre de côté nos ego respectifs pour le bien d’un projet commun. Si un membre avait un certain numéro dans un spectacle qui marchait moins bien, il acceptait de le retirer sans rechigner. Car, pour nous tous, le produit final devait être le meilleur possible. Je n’ai jamais retrouvé un tel esprit ailleurs…"
"La gang a toujours été perçue comme un bloc indescriptible, raconte Jacques Primeau. Des gens les qualifiaient de Soviet Suprême! Si la position de groupe était prise, personne ne pouvait la faire changer en approchant un des membres. Du contenu à la production, en passant par la technique, RBO contrôlait de A à Z ce qu’il faisait. C’est difficile pour un artiste d’avoir à défendre ses idées seul. À six, c’est plus facile. Si un directeur de programme ne veut pas que le groupe fasse telle ou telle affaire, il est mieux d’avoir de bons arguments pour convaincre six têtes."
RBO ne montera pas sur scène pour fêter ses 20 ans. Ce n’est pas le désir qui manque, mais nos six têtes de cochon sont trop occupés avec leurs projets personnels pour trouver du temps afin de créer et répéter un spectacle ensemble. On se consolera en réécoutant et en revoyant du matériel ancien. En espérant aussi que, quelque part sur les campus du Québec, de jeunes étudiants capotés s’amusent à ridiculiser les icônes d’aujourd’hui et les clichés d’une société qui se prend de plus en plus au sérieux.
Car le Québec n’a pas remplacé ses Beatles de l’humour.
The Tounes et The Sketches (Les disques Audiogram)