Serge Boucher : Huit personnages en quête de hauteur
Scène

Serge Boucher : Huit personnages en quête de hauteur

La Compagnie Jean-Duceppe inaugure sa saison théâtrale avec la reprise du poignant 24 Poses (portraits) de Serge Boucher, créé à l’automne 1999 au Théâtre d’Aujourd’hui.

La Compagnie Jean-Duceppe inaugure sa saison avec la reprise du poignant 24 Poses (portraits) de Serge Boucher, créé à l’automne 1999 au Théâtre d’Aujourd’hui. Le metteur en scène René Richard Cyr (re)dirigera l’excellente distribution originale – comptant Louison Danis, Marc Legault, Roger Léger, Adèle Reinhardt, Guylaine Tremblay, Hugo Dubé, Sylvain Bélanger et Michel Dumont, directeur artistique de la compagnie-hôte. Serge Boucher est enthousiasmé par cette initiative rarissime dans un milieu où, comme l’a dit Raymond Cloutier, il apparaît plus excitant de produire que de diffuser. Au point où il n’a pas hésité à braver la circulation depuis Saint-Rémy-de-Napierville, en pleine heure de pointe, pour venir s’entretenir de personnages qui n’ont pas fini de le hanter…

Deux ans, c’est peu. Selon l’auteur de Motel Hélène (adaptée à la télé, jouée à Toronto et qui sera lue à New York, cet automne), ça ne suffit pas pour se détacher d’une oeuvre. Encore habité par la famille Dubé, réunie dans une cour à l’occasion d’un anniversaire pour "parler de niaiseries", Serge Boucher a de la difficulté à prendre du recul. Un soir, une remarque de Michel Dumont a pourtant modifié sa vision de 24 Poses. "À une spectatrice qui lui faisait remarquer que le drame des Dubé, c’est la non-communicabilité, il a répondu qu’au contraire, ces gens-là voulaient entrer en communication, qu’en parlant de la température, ils faisaient un effort pour entrer en contact. C’est une façon extraordinaire de percevoir la pièce!"

L’auteur tient à faire une mise au point: 24 Poses n’a rien d’une critique de la vie à Bungalowpolis, façon Les Voisins. "J’ai voulu parler d’une certaine classe sociale, que j’appelle la classe moyenne au-dessus de la moyenne, curieusement délaissée. Je trouve ça péjoratif et méprisant de parler de "gens de la banlieue". Et puis, ça pourrait aussi bien se passer dans une famille de médecins. Seules les anecdotes changeraient…" L’auteur distingue mieux, aujourd’hui, l’ombre de la mort planant sur sa pièce. Il est convaincu que tous devraient, comme ses personnages, apprendre à se mêler un peu plus des affaires des autres, quitte à provoquer des éclats. "On passe souvent à côté les uns des autres. On ne connaît pas beaucoup nos proches, souvent parce qu’on se connaît peu soi-même." De bien belles théories. "Je suis le premier à tout faire, lors de réunions familiales, pour éviter que ça pète, reconnaît l’auteur en riant. Je fais le fou, je parle, je parle, juste pour éviter les crises."

Volubile, Serge Boucher le devient aussi quand il est question de ses créatures de papier. "Depuis Natures mortes (sa première pièce, mise en scène par Michel Tremblay), je tente de créer des vies à partir du quotidien, de broder autour de quelque chose qui peut sembler petit." Dans 24 Poses, les personnages sont croqués sur le vif, ils n’ont ni passé ni avenir. "René Richard et les acteurs ont créé leur propre famille Dubé. Il n’y a pas de repères dans ce texte, pas de drame sous-jacent comme dans Motel Hélène. C’est un théâtre-miroir, qui fait naître de l’émotion sans beaucoup de moments dramatiques. C’est la vie qui passe, à la manière tchékhovienne." L’auteur est particulièrement fier du personnage du père, un ex-alcoolique interprété par Dumont. "Ce n’est pas un père absent, comme il y en a tant dans notre dramaturgie. C’est un homme qui aime beaucoup sa famille."

Professeur de français à temps partiel dans une école secondaire de la Rive-Sud, Serge Boucher écrit sans se presser, en prenant le temps d’observer ceux qui l’entourent. "Depuis 24 Poses, j’ai développé une nouvelle obsession. Je suis fasciné par ce que l’on peut projeter en tant qu’être humain. Je suis captivé par ce que peut cacher un regard, un visage." Pas de pression, donc, mais des projets: le dramaturge travaille à une nouvelle pièce et rêve d’écrire pour le cinéma. Bien qu’il soit considéré comme l’une des voix majeures de notre dramaturgie, Boucher garde la tête froide. "Je suis heureux, mais je sais que le succès fait partie des choses éphémères de la vie. Tout cela peut finir demain matin." Comme les personnages de 24 Poses, Serge Boucher vit dans le présent…

Du 12 septembre au 20 octobre
Au Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts