Denise Gagnon : Jouer à la mère
Après 40 ans de métier, Denise Gagnon a encore l’humilité d’une débutante. Et même plus!
Après 40 ans de métier, Denise Gagnon a encore l’humilité d’une débutante. Et même plus! Quel jeune artiste aurait la modestie de demander à la fin d’une entrevue, comme elle l’a fait: "Pourquoi avez-vous choisi de m’interviewer, moi?" Tête d’affiche à Québec, la comédienne est convaincue que sa bouille est inconnue dans la métropole, et que, par conséquent, elle ne fera pas courir les foules. Pour être une vedette, explique-t-elle, il faut être vu au petit écran, ce qui n’est pas son cas, puisque pour être embauché à la télé, mieux vaut habiter Montréal… Un cercle vicieux qui n’a pas empêché le metteur en scène Martin Faucher de parier que ceux qui la verront dans La Reine de beauté de Leenane ne l’oublieront pas de sitôt…
"À mon âge, je considère que ma carrière est davantage derrière que devant moi. Je suis donc plus détendue pour choisir les pièces dans lesquelles je jouerai, constate Denise Gagnon, rencontrée dans le local de répétition de La Licorne, quelques minutes avant que l’équipe ne fasse son premier enchaînement. Si elle a accepté un rôle dans la pièce de l’auteur britannique Martin McDonagh, c’est pour la richesse du personnage proposé – "c’est toujours excitant de jouer un méchant!" – et le plaisir de travailler avec un metteur en scène "qui sait ce qu’il veut" et des comédiens qu’elle respecte (Steve Laplante, Jean Maheux et sa complice de longue date Micheline Bernard).
L’action de La Reine de beauté… se déroule à Leenane, une petite ville pluvieuse d’Irlande. À 40 ans, Maureen n’a toujours pas trouvé l’âme soeur et vit avec sa mère vieillissante, amère et manipulatrice. Un jour, l’occasion d’échapper à cet enfer se présente, mais la marâtre refuse de laisser sa fille voler de ses propres ailes… "C’est l’histoire d’un combat entre une fille et sa mère, qui voit arriver à grands pas la vieillesse et ne veut pas vieillir seule, résume Denise Gagnon. Elle compte bien faire de sa fille son bâton de vieillesse." Martin McDonagh avait 23 ans quand il a écrit cette pièce, jouée en Irlande, en Angleterre, à New York et à Montréal (au Centaur, durant la saison 1999-2000). Un peu comme le jeune Michel Tremblay avec ses Belles-soeurs, ce petit prodige a imaginé des personnages féminins hypperréalistes, au destin tragique et, pourtant, tristement ordinaire. L’interprète, dont la fille (Marie-Ève Gagnon) oeuvre aussi dans le milieu, est fascinée par la maturité de ce portrait d’une relation mère-fille malsaine et par la "grande connaissance de l’âme humaine" du jeune auteur.
Présentée pour la première fois en français, dans une traduction de Fanny Britt, La Reine de beauté de Leenane oscille entre le burlesque et le tragique. "Les spectateurs ne seront pas désorientés, puisque les personnages présentés sont universels et que l’Irlande, telle que dépeinte par l’auteur, est aux prises avec une problématique politique qui se rapproche de celle du Québec."
Denise Gagnon désire dorénavant se consacrer exclusivement à l’interprétation. Fini, la mise en scène. "J’en ai réalisé une quinzaine, mais cela me met tellement rapidement devant mes limites que ça me déprime! lance-t-elle en riant. Et elle enseigne la diction et la poésie pour la dernière fois cette année. Après 20 ans au Conservatoire d’art dramatique de Québec, elle prend sa retraite. Mais elle compte bien continuer de jouer tant que des rôles lui seront proposés. En tentant d’éviter le piège de l’habitude, précise-t-elle avec cette humilité qui ne la quitte pas. "L’expérience ne facilite pas toujours le travail. Parfois, l’expérience fait que l’on sait sur quel bouton appuyer pour que cela fonctionne. Mais qui souhaite jouer tous ses rôles exactement de la même façon? Il faut se méfier de l’expérience…"
Du 18 septembre au 27 octobre
À La Licorne