J'ai pas fermé l'oeil de la nuit… : Chroniques d'outre-tombe
Scène

J’ai pas fermé l’oeil de la nuit… : Chroniques d’outre-tombe

Avec son spectacle solo, le conteur vendéen Yannick Jaulin se moque de la mort pour mieux nous faire apprécier la vie.

Mardi soir dernier, au moment même où le monde entier regardait horrifié les images des attentats aux États-Unis, Wajdi Mouawad s’adressait aux spectateurs du Quat’Sous venus assister à la première du spectacle du conteur français Yannick Jaulin. C’était à la fois absurde et réconfortant, ce soir-là, d’être assis dans une salle de théâtre, et le directeur artistique du Quat’Sous a su trouver les mots pour le dire. "Yannick et moi, on s’est demandé toute la journée quoi faire: jouer ou ne pas jouer? Puis, on s’est dit, que devant l’inconcevable – car les événements d’aujourd’hui sont inconcevables – un artiste ne peut que répondre par l’inconcevable. Et le théâtre, qui veut que des gens se rassemblent pour entendre une histoire fausse et y croire, semble un art inconcevable."

Là-dessus, Yannick Jaulin est monté sur la scène du Quat’Sous pour nous présenter J’ai pas fermé l’oeil de la nuit… un spectacle qui nous parle, justement, de la mort. "Ne chantez pas la mort, les gens du show-business vous prédiront le bide", chantait Léo Ferré. Mais Yannick Jaulin surmonte ce défi. Durant 1 h 45 minutes sans entracte, il se moque de la Grande Faucheuse pour mieux nous faire apprécier la vie.

La scène se passe dans un cimetière. Le conteur devient un personnage qui communique avec les morts. On y croise toutes sortes d’habitants: des suicidés, des désespérés, des veuves joyeuses ou éplorées, des couples amoureux, des amants blessés, des criminels et des notables, des paysans, des Arabes… Bref, le cimetière se transforme en une microsociété avec ses rivaux et ses classes sociales. Les petits-bourgeois occupant le milieu du cimetière, et les marginaux, sa périphérie… Il y a même une querelle entre les enterrés et les incinérés, les premiers ne blairant pas les seconds…

Seul sur scène, entouré de plusieurs lanternes, Jaulin nous raconte toutes ces histoires provenant de témoignages, de légendes et de faits divers recueillis dans la France profonde ("90 % sont des histoires vraies", dira-t-il à la fin du spectacle. Sa démarche rappelle celle du Québécois Michel Faubert, un autre artiste "passeur" de la tradition orale. Pour ces deux conteurs, les vivants sont unis par une chose: le souvenir. Car sans la mémoire, l’humanité tombe dans les profondeurs des ténèbres.

Yannick Jaulin est donc un conteur-ethnologue, dont l’art est d’aller fouiller dans les recoins de la mémoire de l’humanité. Mais c’est aussi un auteur qui manie la langue, et ses différents niveaux, à merveille. De plus, le conteur est également un excellent comédien qui incarne tous ses personnages avec beaucoup de force et de vérité.

Par-delà le travail de collectionner et de regrouper ces nombreux récits, J’ai pas fermé l’oeil de la nuit… reste un texte fascinant, admirable par sa puissance d’évocation. Si la pièce contient quelques longueurs et imperfections, on le pardonnera aisément à son auteur. Sa matière étant terriblement dense et riche, comme la vie. Et Yannick Jaulin a le mérite de s’attaquer à un immense et ultime tabou avec le plus abordable des moyens: la parole.

De là, toute la grandeur de son exercice.

Jusqu’au 15 septembre
Au Théâtre de Quat’Sous