Alice Ronfard : Alice au pays de Molière
Pour célébrer ses 50 ans d’existence, le Théâtre du Nouveau Monde effectue un retour aux sources. Après L’Orestie, une tragédie dont les origines remontent à plus de 2000 ans, place à L’Avare de Molière, toute première pièce jouée par les fondateurs du TNM.
Fière d’être à la barre de cet événement théâtral, la metteure en scène Alice Ronfard refuse de se laisser prendre au piège de la comparaison. "Je suis comme cela, je ne regarde jamais derrière", lance avec une assurance tranquille celle qui a passé son enfance dans les coulisses du Théâtre du Nouveau Monde, où travaillait son père Jean-Pierre Ronfard. La chose est donc réglée: son Avare n’aura pas de comptes à rendre au passé…
Habituée du TNM, Alice Ronfard en est à sa première rencontre avec le roi de la dramaturgie française. Elle l’avoue, elle a toujours cru que Molière, c’était "du Guignol ennuyant". Elle s’est ravisée en se penchant sur L’Avare. "J’adore ce genre de comédie piquante et méchante, qui offre un heureux mariage entre le lourd et le léger, le grave et l’insouciance, s’enthousiasme-t-elle. Travailler sur la langue de Molière s’est révélé aussi fascinant que d’oeuvrer sur des textes contemporains."
La couverture médiatique de l’attentat terroriste survenu aux États-Unis a renforcé sa certitude que L’Avare était une oeuvre pertinente. Plus que jamais, l’argent mène le monde. "Il s’agit d’une tragédie abominable et pourtant, 12 heures plus tard, on faisait les manchettes avec la chute des Bourses de Tokyo ou de Francfort, s’insurge-t-elle. On présentait une espèce de bilan financier de l’Amérique avant même d’avoir un bilan politique ou intellectuel!"
Depuis sa création, L’Avare plonge le public (et la critique) dans un dilemme: comédie ou tragédie? Pour Alice Ronfard, l’affaire est résolue. Il s’agit d’une comédie cruelle, qu’il faut éviter de transformer en bouffonnerie. "Plus on est vrai, plus on est juste dans la comédie. L’important, c’est de bien rendre le texte." Comme le soulignait le metteur en scène et comédien Jean Gascon il y a 50 ans, le secret de l’interprétation du rôle-titre réside avant tout dans "le corps à corps avec le texte"…
À force de le côtoyer, Alice Ronfard s’est attachée à ce vieux grippe-sou d’Harpagon, à qui Pierre Collin apporterait une fougue nouvelle. "Harpagon est autoritaire, puissant, épeurant. Sa tyrannie ne peut exister sans charisme. J’ai voulu un Harpagon fort, violent, intelligent. S’il y a une différence de lecture, elle est là. Je le vois comme un despote familial, qui mène sa maison avec autorité."
Les proches de ce Séraphin parisien seront incarnés par une solide équipe d’interprètes: Linda Sorgini, Henri Chassé, Gabriel Sabourin, Maxime Denommée, Jacques Girard, Jacques Lavallée, Catherine Florent, Geoffrey Gaquere, Jacinthe Laguë et Marcel Pomerlo.
Outre les comédiens, Alice Ronfard est particulièrement fière de sa jeune équipe de concepteurs. "Mon seul témoignage par rapport au 50e anniversaire du TNM, c’est qu’il existe une relève en éclairage, en scénographie, en costume, en musique." Il s’agit de sa quatrième collaboration avec le scénographe Gabriel Tsampalieros, repéré il y a quelques années à l’École nationale de théâtre, qui aurait situé l’action dans un monastère moderne et froid.
Épaulée par des collaborateurs de confiance, la metteure en scène n’a pas le trac. "Le TNM, c’est ma deuxième maison. C’est le théâtre de mon enfance, de mon adolescence et de mon âge adulte. Imaginez, je jouais sous la table pendant que mon père dirigeait les répétitions des Oranges sont vertes, en 1972! C’est peut-être pour ça que je suis si calme. Je ne changerai pas ma façon de travailler parce que j’ai été choisie pour le 50e anniversaire." Alice Ronfard le reconnaît elle-même: on aime ou on déteste ses mises en scène. Et le TNM l’a embauchée en connaissance de cause. "Mes choix sont endossés par tous, Lorraine Pintal la première. C’est la troisième fois que j’y travaille, et jamais je n’ai senti d’obstruction."
Cette liberté lui permet de faire fi du passé, pour créer dans le présent. Et peu lui importe si tout est à recommencer demain. "Ce qui est génial au théâtre, c’est que rien ne nous suit. Une fois que c’est fait, c’est fini, on passe à autre chose. Ce qu’il nous reste, c’est un trajet personnel, une réflexion sur le monde. Ce que tu as compris et que tu amélioreras, et ce que tu comprendras peut-être plus tard. Le théâtre m’apporte une plus grande compréhension du monde, il me rend plus intelligente. Mais si un jour je n’ai plus rien à dire par cet art, j’en pratiquerai un autre.
"Je ne suis pas une vraie carriériste. À vrai dire, ce n’est pas d’être au TNM, mais de rencontrer Molière que je trouve le plus intéressant. Je découvre que j’avais des préjugés et que son théâtre peut être exaltant."
Du 25 septembre au 25 octobre
Au Théâtre du Nouveau Monde