L’Orestie : Tragique d’influences
À l’heure où le monde entier est plongé dans un recensement sanglant des valeurs humaines, on craindra peut-être d’enfoncer le couteau un peu trop loin en assistant à L’Orestie, tragédie grecque qui consacre, depuis plus de 2000 ans, l’art du funeste.
La troupe parisienne de l’Odéon-Théâtre de l’Europe voit le drame sous un angle différent, et croit qu’en dépit de l’affliction actuelle, la parole d’Eschyle, bien que millénaire, peut fournir des pistes de réflexion en ce qui concerne la machine infernale qui nous plonge irrémédiablement, depuis l’époque des Grecs, au coeur du tragique.
Rejointe à Montréal, qu’elle s’apprête à quitter après avoir triomphé dans le rôle-clé de Clytemnestre lors d’une dizaine de représentations au Théâtre du Nouveau-Monde, Christianne Cohendy, grande actrice parisienne, parle avec éloquence de ce qui pourrait bien être son expérience la plus marquante sur les planches. Elle rappelle d’abord la complexité de la trilogie, sa durée légendaire (l’ensemble est constitué de trois pièces, Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides, qui, portées à la scène dans leur intégralité par le metteur en scène Georges Lavaudant, ne durent pas moins de quatre heures, entractes compris) et la pertinence des thèmes abordés. Dans cette fresque monumentale où il relata (en 458 av. J.-C.) la tragédie des Atrides lors de la Guerre de Troie, Eschyle tissa un portrait à la fois sombre et lucide de l’âme humaine. Il s’agit bien ici d’une descente aux enfers sur fond de meurtres filiaux (un père qui permet qu’on sacrifie sa fille pour une question de stratégie militaire paie son crime de sa propre vie, son épouse l’assassinant à son tour avec l’aide de son amant; comble du tragique, leur fils perpétue le cycle infernal en vengeant son père par acte de maricide). Créée à une époque où le sacré et la mythologie régissaient la culture autant que le politique, cette oeuvre majeure sema, chez les Grecs, les germes d’une pensée plus humaniste, moins fataliste et, surtout, posa les premières pierres d’un édifice qu’on appelle aujourd’hui (naïvement, peut-être) démocratie.
Devant une oeuvre aussi dense, touffue, mais aussi à cause d’un hermétisme apparent (traduction du grec ancien, style aride et déclamatoire) qui peut effrayer le spectateur, la comédienne s’émerveille de la réponse reçue à Montréal: "Nous avons joué en France, en Espagne, en Italie, et partout on nous a réservé un très bon accueil. Au Québec, j’ai été particulièrement touchée par la chaleur du public; souvent, les réactions sont plus sensibles et immédiates qu’en Europe." Exit, donc, le complexe québécois né de la vague impression d’être le produit d’une sous-culture.
Interrogée sur sa découverte de la pièce et sur sa création à l’Odéon en 1999, madame Cohendy prend une pause, puis poursuit, pesant chacun de ses mots comme si elle se sentait observée par l’oeil critique d’Eschyle: "Quand j’ai lu ce texte, j’ai ressenti la magnificence de cette littérature, sa difficulté (parce qu’Eschyle écrit dans une poétique assez complexe et dense), mais surtout un immense pouvoir d’attraction. Ensuite, au cours d’une très longue période de répétitions, avec l’aide du traducteur Daniel Loayza (imminent helléniste), se sont élucidées les paroles, le propos et le message de l’auteur." Une entreprise audacieuse que de proposer une oeuvre si étrangère à un public désormais plus familier des écrans que de la scène? "Certes! mais nous avions conscience que c’était une parole à faire entendre à tout prix. Outre le plaisir de jouer et d’être dans un compagnonage extraordinaire entre comédiens et une collaboration magnifique sur tous les plans avec Georges Lavaudant, nous porte, de représentation en représentation, un souci souvent absent lorsque nous jouons d’autres pièces: LA CONSCIENCE."
Les 22 et 23 septembre
À la salle Albert-Rousseau
Voir calendrier Théâtre