André Brassard : Critique: La Double Inconstance
Scène

André Brassard : Critique: La Double Inconstance

Sur un petit parquet, morceau d’un grand palais évoqué par des couloirs qu’on devine à travers le tain transparent du décor, Silvia et Arlequin apparaissent comme les sujets d’une  expérience.

Sur un petit parquet, morceau d’un grand palais évoqué par des couloirs qu’on devine à travers le tain transparent du décor, Silvia et Arlequin apparaissent comme les sujets d’une expérience. Parce que ces jeunes paysans s’aiment, parce que le Prince veut épouser Silvia, tout sera mis en oeuvre pour que les jeunes amoureux se quittent. Les stratagèmes variés, attaquant les points faibles et l’orgueil, semant la jalousie et le doute, représentent les épreuves imposées aux personnages et à leur coeur bouleversé. En résulte une analyse perspicace du sentiment amoureux, de ses métamorphoses, du trouble qu’il engendre.

C’est à cette réflexion que convie La Double Inconstance de Marivaux dont la mise en scène, par André Brassard, révèle toute la profondeur. Misant sur le jeu et l’intelligence d’un texte riche et très fin, parfaitement maîtrisé par les comédiens, le metteur en scène livre ici une vision limpide de cette comédie au sujet grave. Tous les comédiens sont excellents; à souligner, l’interprétation d’Érika Gagnon, dans le rôle de Flaminia, alliée du prince tirant les ficelles. Attentive à la complexité de son personnage, elle apparaît à la fois rusée et sincère, tantôt ironique, tantôt troublée.

Le décor (Carl Fillion), deux murs de miroir translucide placés en angle, illustre la confusion des jeunes amants. Renvoyant l’image de l’espace clos où se joue en pleine lumière ce qui s’organise dans le secret des couloirs, les miroirs altèrent la vérité, multiplient les reflets des personnages qui se mirent et s’épient.

On pourrait, à juste titre, intituler cette pièce "la comédie de l’amour". Tout – ou presque – y est feinte, manipulation. Les personnages, à l’exclusion de Silvia et Arlequin, agissent à la fois comme metteurs en scène et comédiens. De Flaminia faisant répéter son rôle d’ingénue à Lisette, lui ordonnant de modifier son "costume", aux variations d’éclairage et de musique que commande chacun, en passant par les coulisses, les costumes (superbes: Véronique Borboën), porteurs de signification: tout y est. Ce "théâtre des émotions", tel que mis en scène par André Brassard, révèle un monde de l’artifice et de sa maîtrise. Si certains se prennent au jeu, n’en sont dupes que Silvia et Arlequin, néophytes ignorant tout des usages du "grand monde". Dans ce palais des apparences, que ressent-on vraiment? De quoi étourdir nos deux tourtereaux, piégés par ce "miroir aux alouettes". Par la subtilité du jeu, le pouvoir d’évocation du décor et la justesse de l’observation, Brassard et Marivaux nous lancent, à travers l’humour, une question troublante, et toujours pertinente: qu’est-ce que l’amour?

Jusqu’au 13 octobre
Au Trident