Éric Jean : Face à face
Avec Une si belle chose, au Rideau Vert, ÉRIC JEAN signera sa première mise en scène dans un théâtre institutionnel.
Grâce à la pièce Une si belle chose, il devrait souffler en octobre un vent de jeunesse sur le vénérable Théâtre du Rideau Vert. En plus de donner la vedette à de jeunes comédiens encore peu connus, ce texte qui raconte l’amour naissant entre deux adolescents gais marque la première mise en scène d’Éric Jean dans un théâtre institutionnel.
Depuis deux ans, le diplômé de l’UQAM s’était signalé par des spectacles au ton onirique montés avec sa propre compagnie, le Persona Théâtre (Une livre de chair, Ushuaïa). Disons qu’il était plus familier de la salle Fred-Barry que de la vieille compagnie de la rue Saint-Denis… "Au début, j’avais très peur de ne pas être libre, admet Éric Jean. Quand je travaille avec ma compagnie, je fais ce que je veux, je m’impose mes propres limites. Là, je craignais d’avoir des contraintes. Mais finalement, ça n’a pas été le cas. Je suis très content, parce qu’à l’avenir, je vais avoir davantage de choix. Je reçois de plus en plus d’offres, et la liberté est mon premier critère de sélection."
Pas carriériste pour deux sous (il a déjà refusé trois Marivaux!), le jeune homme n’a pas envie de monter n’importe quoi simplement pour l’ajouter à son c.v. "Ce métier-là est trop prenant pour le corps et l’esprit, explique-t-il. Avant tout, je le fais pour moi, pour évoluer comme être humain et pour entrer en contact avec d’autres personnes. Une des choses qui m’importe le plus dans la vie, et que je veux communiquer avant tout, c’est l’humanité. Il faut qu’elle soit présente dans les textes."
Une exigence que comble sans peine la pièce du Britannique Jonathan Harvey. Écrite en 1993, adaptée depuis pour le cinéma par Hettie MacDonald (un film que Jean juge inférieur à la pièce), Une si belle chose est ancré dans un milieu populaire tissé serré, où les voisins vivent pratiquement les uns sur les autres.
La jeune Sandra (Marie-France Lambert) y fait plus ou moins office de mère pour les ados issus de familles monoparentales de tout le balcon: la flamboyante Leah (Isabelle Roy), perdue dans les vapeurs de la drogue, son propre fils Jamie (Marc Beaupré) et le malheureux Steve (Hugues Fortin), qui est violenté par son père et son frère aîné. Deux garçons entre qui un tendre sentiment affleure peu à peu…
"Ce sont des gens qui aiment profondément la vie, c’est leur force, dit le metteur en scène à propos des personnages. Et ils ont tous un rêve qui les tient en vie. Ces rêves sont très réalistes, très modestes, et peuvent rejoindre beaucoup de monde. Et ce qui est beau, c’est qu’ils y croient. La pièce dit que c’est important de croire en quelque chose, d’avoir foi en soi-même et d’accepter qui on est vraiment. Comme les deux jeunes hommes qui vont se rejoindre dans une relation amoureuse. Plus leur relation devient intime, plus on les sent s’épanouir."
Pour Éric Jean, cette pièce tonique montre qu’on peut traiter de sujets potentiellement douloureux sans s’appesantir pour autant sur les problèmes de la vie. "C’est ce qui est fascinant: la pièce parle de découverte d’homosexualité, de violence familiale, d’une fille qui tombe dans la drogue parce qu’elle a besoin d’amour et d’attention… Ça pourrait être très lourd, mais ça ne l’est pas. Parce que ce sont des personnages qui ne s’apitoient pas sur leurs malheurs. Ils les nomment, mais pas d’une façon plaintive. Ils sont beaucoup plus actifs que passifs. Alors, ils vont de l’avant." Le metteur en scène goûte la saveur directe et colorée des dialogues (le texte est traduit par l’excellente Maryse Warda), la force de parole de ces personnages qui "affirment qui ils sont". Et qui ne manquent pas de répondant!
Le jeune artiste voit la relation homosexuelle qui loge au coeur de la pièce comme la rencontre entre "deux êtres esseulés", peu importe leur sexe. "On n’a pas besoin d’être gai pour être touché", estime-t-il. N’empêche qu’Éric Jean trouve très important de montrer cette image de l’éveil de l’homosexualité à l’adolescence, une étape délicate qui se traduit par une tentative de suicide pour trop de jeunes Québécois.
"Quand j’ai lu la pièce, je me suis dit: si j’avais vu ça à 16 ans, c’est sûr que ça m’aurait aidé, raconte le natif du Lac-Saint-Jean. À l’époque, c’était pas évident, parce qu’on n’avait pas de modèle. L’homosexualité était quelque chose de très obscure, de tabou. Je voyais André Montmorency dans la sitcom Chez Denise, et c’était ça pour moi, un homosexuel… (rires) Ça ne me rejoignait pas."
C’est pourquoi il rêve de promener son spectacle à travers la province. "C’est dans les régions plus éloignées qu’on trouve beaucoup de jeunes qui s’enlèvent la vie parce qu’ils sont homosexuels. Je pense que d’assister à cette pièce les aiderait à voir un côté positif dans leur orientation sexuelle. Au théâtre québécois, l’homosexualité a souvent été montrée comme une chose douloureuse. L’une des forces d’Une si belle chose, c’est que le texte dit: ça fait partie de la vie. Et ça peut être beau."
Du 2 au 27 octobre
Au Théâtre du Rideau Vert