La Reine de beauté de Leenane : La vie est ailleurs
Après l’excellent romancier Frank McCourt, le dramaturge Martin McDonagh est peut-être le fils de la Verte Île qui aura su capitaliser avec le plus de succès sur le malheur irlandais…
Après l’excellent romancier Frank McCourt, le dramaturge Martin McDonagh est peut-être le fils de la Verte Île qui aura su capitaliser avec le plus de succès sur le malheur irlandais… Cet auteur anglo-irlandais, né en 1971, a fait un tabac avec sa "trilogie du Connemara". Créée en 1996, sa première pièce, La Reine de beauté de Leenane, aura eu le temps d’être montée un peu partout avant qu’une production francophone (les Anglo-Montréalais ont eu la leur au Centaur, l’an dernier) ne parvienne à nos oreilles.
Grâce à La Licorne, on découvre enfin cette pièce très forte qui tient tout à la fois de la tragédie réaliste et de la comédie horrifique. Au pays de Marie-Lou, on ne peut qu’être sensible à ce huis clos familial étouffant et impitoyable, cohabitation forcée de deux ennemies dans une cuisine-prison, à cet écartèlement entre le maintien des traditions et un rêve d’émancipation personnelle.
Dans un espace exigu qui suggère l’enfermement, l’absence d’horizons (décor de David Gaucher), Maureen vit au rythme des caprices d’une mère qui craint très égoïstement de voir sa seule fille célibataire l’abandonner pour vivre sa vie. Mais la marâtre a trouvé son égale: Maureen se venge des manoeuvres et des exigences maternelles par des vexations quotidiennes, et parfois par bien pire…
Le retour au village du gentil Pato (Jean Maheux, qui apporte une lueur d’humanité à la pièce) offre à Maureen sa seule chance d’échapper à son destin solitaire et à Leenane. La Reine… étant une tragédie, on devine d’emblée que tout ça va mal finir, mais il faut voir comment l’auteur joue habilement avec nos appréhensions, en remettant entre les mains d’un ado insensible et impatient le sort de Maureen…
Ponctuée par de poignantes chansons irlandaises, la mise en scène attentive de Martin Faucher restitue ce climat d’oppression, où ressort toute la lourdeur des gestes d’un quotidien pesant d’ennui et d’hostilité larvée (préparer le thé, le porridge, le fameux "complan"). La pièce nous offre un puissant duel entre une Micheline Bernard à la fois dure et vulnérable, qui se bat pour sa vie, et une Denise Gagnon à la malveillance rentrée, plantée tel un Bouddha monstrueux sur sa chaise berçante. En jeune rustre, Steve Laplante fait une composition "punchée" et saisissante, mais qui tire peut-être un peu trop la pièce du côté comique. Car seule la soupape de l’humour rend supportable la violence de cette guerre intérieure.
Mieux que n’importe quel traité sociogéographique, la pièce rend patents les ravages de l’acculturation et de l’isolement. L’aliénation, la solitude, l’absence d’espoir, la folie, la ténacité des rancunes, la transmission du malheur. Le désir d’être toujours ailleurs que là où l’on est, et d’être n’importe qui d’autre que soi-même. Un air connu, mais qui a rarement résonné avec autant de force cruelle.
Jusqu’au 27 octobre
À La Licorne