À toi, pour toujours, ta Marie-Lou : À vau-l’eau
Faut-il s’étonner du caractère symbolique et onirique qui baigne la Marie-Lou créée en novembre 2000 au Théâtre du Trident, et reprise désormais par le Théâtre Denise-Pelletier?
Malgré leur ancrage dans un réel dur, et les profonds reflets qu’elles tendent à l’évolution du Québec, les grandes oeuvres dramatiques de Michel Tremblay ne sont pas des objets réalistes. La structure même d’Albertine, en cinq temps ou d’À toi, pour toujours, ta Marie-Lou en témoigne. Depuis une décennie, certains metteurs en scène ont tenté de revisiter ces pièces pour en souligner la dimension tragique universelle – qui n’est de toute façon plus à démontrer.
Faut-il donc s’étonner du caractère symbolique et onirique qui baigne la Marie-Lou créée en novembre 2000 au Théâtre du Trident, et reprise désormais par le Théâtre Denise-Pelletier? Exit ici l’âpre naturalisme, le tricot de Marie-Lou et la table remplie de bouteilles de bière de Léopold. Bonjour l’eau stagnante de la mémoire et une certaine désincarnation.
Si son impact a basculé du politico-social à l’émotionnel, la pièce qui célébrait son trentième anniversaire de création au printemps dernier est toujours l’une des plus fortes de l’auteur des Belles-Soeurs. La construction en écho de ce quatuor infernal n’est pas sa moindre qualité. Peinture de l’aliénation et de l’autoapitoiement, dénonciation des chaînes qui ont longtemps entravé les Québécois – religion, pauvreté, ignorance, peur, défaitisme, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou expose une cellule familiale disloquée, enclave d’autant de solitudes qui se heurtent les unes les autres. Une famille qui va à vau-l’eau…
Dans la mise en scène de Gill Champagne, Léopold et sa chère Marie-Lou sont des spectres errants (qui surgissent d’ailleurs du sol comme d’un tombeau), embourbés dans leur ressentiment mutuel, et qui ressassent les mêmes griefs de toute éternité. Avec ses symboles oniriques, ses statues de la Vierge et ses lampions flottants dans une mare aquatique, son mur percé d’une petite porte, la production décorée par le scénographe Jean Hazel est formellement magnifique. La trame sonore de Marc Vallée nous plonge dans une atmosphère de religiosité étouffante à coups de chants grégoriens, ou, le temps d’une vieille chanson de Tino Rossi, convoque la mélancolie, les regrets de l’amour à jamais enfui.
Cette Marie-Lou apparaît ainsi un peu comme le tableau des fantômes d’une enfance jamais liquidée, du moins pour Manon-la-dévote (Jasmine Dubé), incapable – ou refusant – de se débarrasser des voix querelleuses de ses parents, malgré l’insistance de sa soeur plus dégourdie, Carmen la chanteuse country (Linda Laplante).
Il manque peut-être à ces très belles idées de mise en scène une grande distribution. Ici, le jeu est très honnête, généralement juste, mais sans trop d’éclat. Ça vient possiblement aussi de la vision du metteur en scène, qui opte pour un ton plus calme, plus lent. Chez Léopold, par exemple, qui y va de son monologue sur la job steady presque tranquillement, sans hargne ou presque. Moins rompu à la mécanique du spectacle que certaines de ses partenaires (à Québec, le rôle était tenu par John Applin), Jean-Jacqui Boutet manquait encore un peu d’assurance lors de la seconde représentation, marquée par quelques hésitations. Créature austère, engoncée dans une longue robe d’un autre temps, la frêle mais intense Lise Castonguay se révèle plus amère qu’enragée.
Ce saisissant tableau familial, auquel Champagne donne un finale plus chargé d’espoir (celui représenté par Carmen), dilue un peu la charge puissante de la pièce. Un beau spectacle plus onirique que vraiment bouleversant.
Jusqu’au 20 octobre
Au Théâtre Denise-Pelletier