L'Avare : Noces d'or
Scène

L’Avare : Noces d’or

Un demi-siècle presque jour pour jour après avoir inauguré ses activités avec L’Avare, le Théâtre du Nouveau Monde reprend la comédie de Molière dans une mise en scène moderne et dynamique d’ALICE RONFARD. Un spectacle cadeau pour le public.

C’est Jean Gascon et ses compagnons qui l’avaient d’abord programmé, mais Lorraine Pintal n’aurait pu mieux choisir pour le cinquantenaire du TNM. Non pas que L’Avare figure parmi les meilleures oeuvres du répertoire (après tout Molière, malgré tout son génie, écrivait les bons sitcoms de son époque!), mais parce que cette pièce colle parfaitement au mandat de cette institution: faire partager l’amour du théâtre au grand public.

À la fois comique et tragique, noire et lumineuse, grivoise et pleine de grandeurs d’âme, avec un personnage principal permettant à un acteur de métier de se surpasser, L’Avare, c’est du théâtre classique populaire a son meilleur. La production, à l’affiche jusqu’au 25 octobre, rend bien justice à cette pièce de l’auteur fétiche du TNM (36 productions depuis 1951)!

On connaît l’histoire d’Harpagon, ce vieillard avaricieux obsédé par sa cassette contenant 10 000 écus d’or. Il fait le malheur de sa famille et de ses domestiques en les privant de tout. Bien sûr, L’Avare traite de ce péché capital sous la mécanique de la farce et du comique. Mais, paradoxe de cette comédie immorale, le drame est tapi dans chaque coin de ce récit endiablé, permettant la réflexion en plus du rire et du divertissement.

Au fond, ce sexagénaire colérique, cruel, pervers, menteur, ridicule, despote est, comme nous tous, … profondément seul. Son vice est certes plus grand que nature. Son entêtement aussi. Devant la révolte des siens, au lieu de s’humaniser, Harpagon s’isole davantage dans sa pathologique solitude…

Outre l’aspect psychologique, Molière dépeint également un conflit de générations. La rivalité père-fils (ce dernier souhaite la mort d’Harpagon et s’indigne à l’idée que son père songe à se marier) étant un duel à finir entre une jeunesse arrogante d’insouciance et un vieillard grincheux et malade qui ne veut pas renoncer à sa jeunesse. Face à l’injustice du temps qui passe, le tyrannique Harpagon trouve dans les valeurs matériels confort, sécurité et prérénité.

Dirigée avec doigté, clarté et modernité par Alice Ronfard, mené habillement par Pierre Collin (un des meilleurs Harpagon que j’ai vu de ma carrière rappellant celui campé par Louis de Funès au cinéma), le spectacle du TNM fait bien ressortir ces enjeux sans touttefois souligner inutilement à coups de symboles le message .

Dans un décor la fois "splendide et austère " signé Gabriel Tsampalieros et magnifiquement éclairé par Éric Champoux, la production permet aux comédiens de donner de bon numéros. D’abords, Pierre Collin qui, comme l’indiquait déjà Jean Gascon en 1951, fait corprs corps avec le texte et joue chaque situation à fond, dans la nuance et la vérité.

Maxime Denommée est un Valère droit, fier et noble. Le Maître Jacques très physique et outrancier de Jacques Girard n’aurait sans doute pas déplu à Guy Hoffmann. Linda Sorgini est une pétulante et colorée Frosine, et Gabriel Sabourin, Henri Chassé et les autres sont tout aussi. Que dire de plus, sinon longue vie au TNM!

Jusqu’au 25 octobre
Au TNM


Les 50 ans du TNM
Lundi dernier, c’était la fête au TNM! La soirée de première a débuté tôt, à 18 h 30, et s’est terminée encore plus tôt, en danse et en musique, vers les 4 h du matin. Avant le lever de rideau sur L’Avare de Molière (voir critique ci-contre), la directrice Lorraine Pintal a présenté le seul des fondateurs toujours vivant: Jean-Louis Roux. Ce dernier a été chaudement ovationné par les spectateurs.

Puis, les officiels des trois paliers de gouvernement ont fait leur laïus de circonstances. Étonnamment, parmi les quatre politiciens présents (le maire Pierre Bourque, les ministres Louise Harel, Diane Lemieux et Stéphane Dion), c’est ce dernier – dont la cote est basse au Québec – qui a fait le meilleur discours. Dion a rappelé l’importance de la fondation du Conseil des Arts, les débuts de Georges-Émile Lapalme à titre de ministre des Affaires culturelles dans le cabinet Lesage, et la responsabilité de l’État à soutenir de solides politiques culturelles. Dion a même fait rire le public (chose rarissime avec ce genre de discours) en se demandant si, en présentant L’Avare à sa naissance et aujourd’hui, le TNM ne voulait pas lancer un message aux pouvoirs publics…

Les activités entourant le 50e du TNM se poursuivront au cours des prochaines semaines. Le mardi 9 octobre, jour officiel de la première représentation de la compagnie en 1951 au Gesù, une lecture publique très spéciale sera donnée dès midi. Sous la direction de Martine Beaulne, une douzaine de metteurs en scène liront des extraits de pièces qu’ils ont dirigées. Parmi eux, Claude Poissant (Le Prince travesti), Jean-Luc Bastien (Les fées ont soif), Jean-Louis Roux (Le Soulier de satin), Lorraine Pintal et Jean-Pierre Ronfard (HA, ha!…), ainsi que Serge Denoncourt (Le Temps et la Chambre). Suivra, à 17 h, la remise des prix Gascon-Roux décernés par les abonnés du TNM aux productions de la saison dernière.

Le 17 octobre, le Musée McCord inaugurera l’exposition Molière au Nouveau Monde qui présentera maquettes, photos et costumes de collection. Côté commémoration, Postes Canada vient d’émettre un timbre à l’effigie du TNM pour souligner l’anniversaire de la troupe fondée par Jean Gascon, Jean-Louis Roux, Georges Groulx, Guy Hoffmann, Robert Gadouas et Éloi de Grandmont, ce dernier ayant trouvé le nom de TNM.

Finalement, le réalisateur Jean-Claude Labrecque et le metteur en scène Yves Desgagnés vont signer un documentaire sur le demi-siècle du TNM. Intitulé Un théâtre dans la cité, leur film sera diffusé aux Beaux Dimanches de la SRC au printemps 2002.

(Luc Boulanger)