Serge Denoncourt et Luce Pelletier : Les grands explorateurs
Scène

Serge Denoncourt et Luce Pelletier : Les grands explorateurs

À mort Tchekhov! Le Théâtre de l’Opsis clôt son cycle de trois ans avec un programme double…

À mort Tchekhov! Le Théâtre de l’Opsis clôt son cycle de trois ans avec un programme double au cours duquel son auteur-fétiche passera un mauvais quart d’heure, victime d’une petite révolution russe, fomentée par ses propres personnages! Pour en finir avec le grand Anton, les metteurs en scène Luce Pelletier et Serge Denoncourt n’ont pas hésité à mettre l’Espace Go sens dessus dessous….

Le happening théâtral orchestré par L’Opsis débutera avec la présentation de La Poste populaire russe, une fable fantaisiste du jeune auteur Oleg Bogaev, mise en scène par Luce Pelletier; pour se poursuivre avec (Oncle) Vania, une féroce relecture du Britannique Howard Barker, qui sera jouée… dans les gradins, devant 60 spectacteurs, assis sur scène! Un flash de Serge Denoncourt, qui a réussi à entraîner dans cette douce folie une distribution de haut calibre, dont des habitués du cycle (Catherine Bégin, Denis Bernard, Jean-François Casabonne…) et des nouveaux venus tels Paul Savoie et Albert Millaire. Les curieux devront agir avec célérité, puisque la soirée russe ne tiendra l’affiche que trois courtes semaines.

Attablés au café de l’Espace Go, les cofondateurs de la compagnie le confirment: pas question de terminer le cycle sans regarder vers l’avant. "Nous voulions ouvrir la porte aux descendants de Tchekhov, finir dans la contemporanéité", explique Denoncourt. Preuve que l’expérience a été concluante, s’il n’en tenait qu’à lui, L’Opsis entreprendrait l’an prochain un nouveau cycle… consacré au même auteur!

"Nous sommes heureux d’avoir formé une espèce de troupe étendue, constituée de comédiens et de concepteurs qui pouvaient continuer la réflexion avec nous d’un spectacle à l’autre, poursuit-il. C’est un luxe, ou plutôt une méthode, rare ici."

Pour clore le cycle, nos deux russophiles ont opté pour des univers aux antipodes. De passage en Russie à la recherche d’enfants de plume de son auteur favori, Luce Pelletier a découvert La Poste populaire russe grâce à son interprète, Fabrice Gex, qui venait d’en compléter la traduction. Ce "conte de fées sur la solitude" inspiré d’une nouvelle de Tchekhov met en scène un vieil homme qui écrit des lettres délirantes (un peu comme dans Le Journal d’un fou de Gogol), mais ne les envoie jamais. Un soir, deux de ses correspondants imaginaires – la reine d’Angleterre (Anne Caron) et Lénine (Stéphane Jacques) – se matérialisent dans son salon.

"Cet homme fait partie de la génération sacrifiée, qui a vécu le communisme, puis le capitalisme sauvage, et dont plus personne ne se préoccupe", explique Luce Pelletier, convaincue de l’universalité du propos de Bogaev. "Nous trouvions que les Russes parlaient bien de l’âme humaine en général et nous nous sommes vautrés là-dedans!", ironise son collègue. Malgré son air assuré, Denoncourt s’avoue un peu embêté par sa propre production; c’est qu’il doit régler les déplacements de neuf comédiens parmi les rangées de sièges… Présenté à 22 h 30 dans la même salle que La Poste…, Oncle (Vania) s’annonce comme un beau défi de mise en scène!

À la manière des personnages de Pirandello, les protagonistes de cette "complication" d’Howard Barker se rebellent contre la tyrannie de ceux qui les manipulent. "C’est comme s’il avait enlevé le sous-texte, pour que les personnages disent ce qu’ils ont au fond d’eux. C’est fait avec beaucoup de méchanceté, mais aussi beaucoup d’amour pour Tchekhov." Armé d’un pistolet, Vania y réglera ses comptes avec son créateur. "Luce propose la découverte d’un auteur russe qu’on ne connaît pas; moi, je propose la mise à mort d’un auteur qu’on connaît!", s’amuse Denoncourt, qui a déjà deux mises en scène de Barker à son actif.

"Cette pièce remet en question les relectures tchékoviennes, conclut-il. L’auteur y égratigne par la bande les metteurs en scène en leur disant que peu importe ce qu’ils essaient de faire, c’est toujours Tchekhov qui gagnera." Cet implacable constat n’empêchera pas les complices de L’Opsis de se prêter au jeu de la relecture, et deux fois plutôt qu’une…

Du 9 au 27 octobre
Espace Go