Patric Saucier : Les Grands Départs
Scène

Patric Saucier : Les Grands Départs

À la blague, le metteur en scène Patric Saucier qualifiait Jacques Languirand de "chaînon manquant de la dramaturgie  québécoise".

À la blague, le metteur en scène Patric Saucier qualifiait Jacques Languirand de "chaînon manquant de la dramaturgie québécoise". Entre Dubé faisant le portrait de la bourgeoisie et Tremblay peignant la classe populaire et sa langue, Languirand décrit en effet une classe modeste, s’exprimant toutefois avec une grande correction de langage.

Les Grands Départs nous fait entrer dans un appartement où s’empilent, bien sagement, les boîtes et les valises attendant les déménageurs. En ouverture, une "valse des boîtes" sans paroles, sur fond musical, nous montre les personnages qui vont et viennent, déposent, déplacent, replacent; gracieux, souriants, bien mis. Un peu trop, d’ailleurs, pour des gens en plein déménagement… Bonheur, élégance, perfection: cet ordre n’est qu’apparent. On cherche grand-père, paralytique qu’on a "égaré"; Tante Eulalie s’oppose au déménagement; et finalement, on découvre que chacun ne rêve que de s’échapper.

Empruntant à différents registres de la télévision et du cinéma, dans le style de jeu des comédiens, les éclairages et jusque dans le salut, Patric Saucier fait alterner avec efficacité moments drôles ou grinçants, moments touchants, moments où suinte l’ennui du quotidien terne de ces personnages. En ressort le portrait du Québec des années 50, qui n’ose rien espérer, à la veille pourtant de la Révolution tranquille; en ressort aussi l’image du Québec et de sa valse référendaire, celle du Québécois complexé, hésitant, résigné. On comprend qu’à l’époque de la création, les réactions furent très vives. Ce "Canadien français" d’alors, a-t-il bien changé? N’avons-nous pas tous cette propension à laisser filer la vie, à toujours attendre quelqu’un, quelque chose?

On rit beaucoup; à cause de la finesse des répliques, de la justesse des portraits, du jeu énergique des comédiens, dont Lorraine Côté, aussi amusante dans ses excès que touchante de vulnérabilité, et Roland Lepage, en grand-père étonnant de vérité.

Si ce texte n’est pas le plus grand de la dramaturgie québécoise, la proposition de Patric Saucier et sa réalisation cohérente, pertinente et imaginative, servie avec enthousiasme par son équipe, font de ce spectacle une réussite qui divertit, en faisant rire des autres, mais aussi de soi-même.

Jusqu’au 27 octobre
Au Théâtre de la Bordée