La Dame de pique / Kim Brandstrup : Femme de rêves
Scène

La Dame de pique / Kim Brandstrup : Femme de rêves

Lorsqu’il a pris la direction des Grands Ballets Canadiens, il y a près de deux ans, Gradimir Pankov s’est empressé d’appeler à Londres pour proposer au chorégraphe Kim Brandstrup de venir créer une oeuvre à  Montréal.

Lorsqu’il a pris la direction des Grands Ballets Canadiens, il y a près de deux ans, Gradimir Pankov s’est empressé d’appeler à Londres pour proposer au chorégraphe Kim Brandstrup de venir créer une oeuvre à Montréal. Au cours de la conversation, ces deux globe-trotters, l’un d’origine macédonienne, l’autre, danoise, qui avaient collaboré une première fois à Genève, se sont rapidement découvert une passion commune pour La Dame de pique, une nouvelle d’Alexandre Pouchkine dont Tchaïkovski a tiré un opéra. Ils se sont alors lancé un défi, celui de transformer ce conte russe, plutôt conventionnel, en un ballet qui ferait entrer les GBC de plain-pied dans le troisième millénaire. Pointes et projections inaugureront donc la saison 2001-2002 de la vénérable institution…

Présenté en première mondiale à Montréal, La Dame de pique est un ballet en sept mouvements, dansé par 28 interprètes… dans un décor virtuel! Le chorégraphe Kim Brandstrup n’en est pas à sa première création alliant ballet classique et multimédia. Depuis 1983, ce diplômé en cinéma mène une carrière prestigieuse en Europe, où il a chorégraphié de nombreux ballets narratifs, dont certains pour sa compagnie (Arc), fondée à Londres en 1985. Une structure qu’il a créée dans le but d’explorer diverses façons de raconter des histoires. "J’aimerais que les spectateurs observent mes ballets avec autant d’intérêt et d’acuité que s’ils regardaient un film", confie ce cinéphile averti, qui me parlera avec fougue d’un film vu la veille au cinéma Ex-Centris. Créateur allumé, Kim Brandstrup puise son inspiration à l’opéra, au théâtre ou au ciné; partout, en fait, où il peut trouver des personnages crédibles…

"Ce qui est vraiment intéressant dans La Dame de pique, c’est la galerie de personnages proposée. Les protagonistes de l’histoire sont intrigants parce qu’ils vivent, chacun à leur façon, dans la fantaisie. Ce sont des rêveurs compulsifs. De plus, c’est pour moi un beau défi de créer un ballet intégral à partir de la musique de Tchaïkovski, en tentant de faire ressortir son côté sombre, souvent ignoré dans les ballets."

C’est après avoir vu l’opéra de ce dernier que le chorégraphe s’est procuré le livre de l’écrivain russe Alexandre Pouchkine. Publiée en 1833, La Dame de pique raconte le triste destin d’un blanc-bec qui a couru à sa perte en préférant l’argent à l’amour… Ce jeune officier dans l’armée du tsar apprend en effet, lors d’une soirée chez un ami, qu’une vieille comtesse détient un secret pour gagner aux cartes. Ruses, tromperies et menaces le mèneront à découvrir la combinaison gagnante, grâce à laquelle il compte faire fortune. Mais une dame de pique viendra briser ses plans machiavéliques…

"Il y a dans cette histoire un va-et-vient constant entre un passé idéalisé et un présent très réel." Pour accentuer ce fossé, le chorégraphe a transposé l’action quelques décennies plus tard, à Leningrad sous le régime stalinien, avec des flash-back durant le règne de Nicolas II. "Je trouvais intéressant que ces êtres, qui vivent dans le rêve, évoluent dans la Russie soviétique. C’est une belle métaphore de tous ceux qui vivent dans un monde mais rêvent d’autre chose, qu’il s’agisse de la Russie d’avant la Révolution ou d’une vie prospère dans un pays de l’Ouest…" Des projections viendront renforcer cette impression de naviguer entre le passé et le présent, le fantastique et la réalité. Les concepteurs de ce décor mouvant sont les Québécois Sylvain Robert et Jimmy Lakatos, la Canadienne Kandis Cook et les Brothers Quay, des jumeaux américains qui se consacrent au cinéma d’animation. Le compositeur Gabriel Thibaudeau a réalisé l’adaptation musicale et composé quelques passages de son cru, en étroite collaboration avec le chorégraphe.

S’il ne tarit pas d’éloges à propos des concepteurs de La Dame de pique, Kim Brandstrup se montre aussi très enthousiaste au sujet des interprètes des GBC qui, assure-t-il, travaillent beaucoup plus fort que ceux qu’il a dirigés en Europe. "Pour des danseurs de ballet, je les trouve très aventureux, ajoute-t-il d’un air espiègle. Ils n’ont pas peur d’essayer des choses alors que d’autres, ailleurs, hésiteraient…"

Du 18 au 27 octobre
Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts