(Oncle) Vania : Le cycle de la vie
Dans ses mémoires, Olga Knipper, l’actrice qui a créé le rôle d’Éléna dans Oncle Vania, écrivait ceci…
Dans ses mémoires, Olga Knipper, l’actrice qui a créé le rôle d’Éléna dans Oncle Vania, écrivait ceci: "Les pièces de Tchekhov sont très difficiles à jouer: il ne suffit pas d’être un bon acteur et de maîtriser son rôle. Il faut aimer, sentir Tchekhov, il faut savoir se pénétrer de toute l’atmosphère d’une certaine tranche de vie, mais l’essentiel est d’aimer l’homme, comme Tchekhov l’aimait, et de vivre la vie de ses personnages."
C’est ce que j’ai ressenti en sortant d’(Oncle) Vania, jeudi dernier, à l’Espace Go. Je venais de voir des acteurs très habiles défendre des personnages terriblement humains, vulnérables, complexes, afin de faire partager au public non seulement leur amour du théâtre… mais leur amour de la vie.
Depuis trois ans, le Cycle Tchekhov du Théâtre de l’Opsis constitue un excellent laboratoire pour les acteurs désirant approfondir leur art à travers l’exploration du théâtre russe. Avec (Oncle) Vania, une "complication" d’Howard Barker d’après la pièce de Tchekhov, présentée à l’Espace Go à 22 h 30, le cycle prend fin dans le chaos dramatique. Car Howard Barker a littéralement saccagé cette oeuvre sur l’immobilisme de la vie provinciale russe à l’aube du 20e siècle. Et il rend un drôle d’hommage au dramaturge russe.
Car si le théâtre de Tchekhov est ardu pour des interprètes, imaginez devoir incarner ses personnages remodelés par un autre auteur, devenus cyniques et fous avec le temps et l’amertume. C’est le défi que relève la troupe d’(Oncle) Vania.
Les acteurs jouent dans les gradins de l’Espace Go tandis que les spectateurs sont assis sur la scène de La Poste populaire russe, le spectacle de l’Opsis présenté en début de programme (voir autre critique). Il ressort de cette proposition théâtrale dirigée par Serge Denoncourt une grande liberté et un exercice formidable pour des acteurs de métier.
De Jean-Luc Bastien (incroyable nounou grincheuse, le dos courbé pas les années de service) à Albert Millaire (hallucinant professeur Sérébriakov), en passant par Catherine Bégin, Jean-François Casabonne, Paul Savoie, Luc Bourgeois… rarement ai-je été autant fasciné par le travail de l’ensemble d’une troupe. Macha Limonchik (Éléna) est tchékhovienne jusqu’au bout des doigts. Belle, mélancolique, sans orgueil et prête à toutes les bassesses pour vaincre son ennui. Par contraste, la Sonia d’Isabelle Roy est un volcan tranquille. (La jeune comédienne se paie un défi à la Broadway, car elle joue aussi à 20 h dans une autre pièce au Rideau Vert!) Finalement, Denis Bernard. Loin du pauvre oncle Vania s’apitoyant sur sa misérable vie, celui imaginé par Barker est un être sauvage, angoissé, violent et obsédé sexuellement. Denis Bernard, acteur familier avec l’univers tchékhovien, compose ici un personnage monstrueusement désespéré qui mérite d’être vu par tous.
À la fin, au lieu de se réfugier dans le travail en pleurant, son Vania franchira la porte pour aller dehors. Belle image, montrant que l’Opsis clôt son cycle Tchekhov avec une ouverture sur le monde de l’imaginaire.
Jusqu’au 27 octobre
À l’Espace Go