René Richard Cyr : Sur les quais
La prochaine création du Théâtre d’Aujourd’hui est une fresque baroque signée Sébastien Harrisson qui embrasse très large. Le directeur de notre "théâtre national", RENÉ RICHARD CYR, en sera l’accoucheur scénique.
Le titre annonce déjà tout un programme: Titanica, la robe des grands combats, Edmund C. Asher, Londres, 1968. Autant Floes, la précédente pièce de Sébastien Harrisson créée au Théâtre d’Aujourd’hui, était une barque intimiste, autant celle-ci (la première que le jeune auteur ait écrite) s’avère une fresque baroque. Un gros bateau que le metteur en scène René Richard Cyr espère mener à bon port à partir du 23 octobre.
Le directeur artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, qui reçoit une centaine de nouveaux textes par an, se dit épaté par l’inspiration de Sébastien Harrisson. "Il se singularise profondément, par la source d’inspiration, le classicisme de la langue, la modernité côtoyant les fantômes du passé… Je n’en lis pas, d’autres textes comme ça! Il y a là une liberté d’écriture que je retrouve très peu ailleurs. On y oscille entre la naïveté et la prétention. C’est quasiment une mini-série de huit heures, tellement il y a d’info, de personnages. C’est porté par un souffle. Et la pièce n’intéressait pas juste le directeur de théâtre, mais aussi le metteur en scène, parce que je n’ai pas abordé souvent ces univers à l’écriture débridée, exaltée. Je me permets ici des choses que je ne me suis jamais permises ailleurs."
Allégorie aux "enjeux émotifs, sociaux, sexuels, politiques, artistiques", Titanica embrasse large. On y croise un homme transformé en oeuvre d’art vivante depuis qu’il a revêtu, en 1968 (date charnière dans l’imaginaire occidental), une robe-sculpture d’acier. Titanica vit sur les quais de Londres, en compagnie d’une bande de squatteurs s’opposant au pouvoir monarchique intransigeant, qui veut les expulser des docks. Viennent aussi y rôder les spectres de la reine Isabelle et de son mari gai, Edward II, qui rumine sa rancune…
On pourrait voir dans la pièce une métaphore de l’exclusion, un constat d’échec de nos idéaux perdus, le "conflit entre qui on est réellement, et l’image qu’on projette par notre fonction sociale"… Plein de choses. Mais ce qui a surtout touché René Richard Cyr, c’est la soif de faire quelque chose de sa vie, de trouver une raison d’exister, la peur de ne pas laisser de traces dans le monde, peur "de n’avoir été qu’une explosion de cellules passagères", incarnée ici surtout par le personnage d’un jeune immigrant américain. Une obsession pour l’auteur de 25 ans, déjà au coeur de Floes…
"La pièce prend parti pour les combats personnels. C’est effrayant, les gens sans passion personnelle. Quand on n’a pas une passion qui nous tient en vie, on se rallie à des causes qui ne sont pas nécessairement les nôtres. Et ce n’est pas pour rien s’il y a une thématique homosexuelle – et une incroyable iconographie gaie, récupérée de Cocteau à Genet – qui sous-tend beaucoup l’écriture de Titanica: on ne laisse pas de bébés, nous. On laisse des shows. On ne peut pas continuer à vivre à travers nos enfants."
Le metteur en scène estime que la pièce "fait de l’impatience une cause noble. L’impatience de vivre, de tout! Je sens dans Titanica une impatience de tout dire dans le premier texte. Il y a là une jeunesse, une virginité qui pourraient être très critiquables; mais j’ai essayé de renforcer ces qualités primaires par la mise en scène, en rendant le spectacle le plus rapide, le plus touffu possible. Titanica, c’est une histoire qui n’a pas de bon sens, mais une maudite bonne histoire, résume Cyr. J’ai très hâte de voir où Sébastien va aller par la suite. Quelle inspiration unique! Moi, j’achèterais un billet pour aller dans la tête de Sébastien Harrisson…"
En attendant, la pièce lui permet de diriger une belle brochette de comédiens: Andrée Lachapelle, Gérard Poirier, Dominique Quesnel, Violette Chauveau, Frédérique Collin, Stéphane Simard, Évelyne Rompré. Ils seront 16 sur scène, avec à la proue James Hyndman, à qui Cyr a confié le rôle-titre à l’élégance féminine, conscient que les acteurs sont trop souvent prisonniers d’un certain casting, leur robe de métal à eux. "Moi, je vais faire des fifs et des prêtres jusqu’à la fin de ma vie, alors que je pourrais jouer autre chose…"
Amorçant sa troisième année à la tête de notre "théâtre national", comme il l’appelle, René Richard Cyr s’enorgueillit d’avoir offert cette tribune à un large éventail d’auteurs. ("Depuis que je suis là, ce n’est pas Larry Tremblay tous les ans – même si j’adore Larry…")
L’éclectisme fait homme, le metteur en scène des Parapluies de Cherbourg s’était donné ce défi en arrivant: "Vous croyez que la dramaturgie québécoise, c’est ça, mais venez le mois prochain, c’est aussi telle chose… Et je suis content que le public suive. Le problème, c’était vraiment la désaffection du public. Or, il y a de plus en plus d’abonnés." Une notion pas évidente entre Le Petit Köchel et Les vieux ne courent pas les rues…
"C’est étrange, mais je n’ai vraiment pas l’impression de faire des choix, dit-il. Les textes s’imposent à moi." Il considère que sa mission est de refléter les préoccupations récurrentes dans les pièces qu’il reçoit. "Je me sens comme une courroie de transmission. C’est un privilège d’être ici, parce que je tâte le pouls de ce qui intéresse ma société. Mais je suis plus heureux dans une salle de répétitions. Et c’est une drôle de job, directeur artistique. Tu dois soutenir le travail du metteur en scène, mais au bout du compte, c’est son show à lui. Quand tu mets en scène, tu as l’impression d’être le capitaine du bateau. Là, t’es un peu Dieu au-dessus: tu as permis la rencontre, mais tu n’as aucun pouvoir…"
Du 23 octobre au 17 novembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui