Sylvain Émard : Caméra cachée
Scène

Sylvain Émard : Caméra cachée

Avec sa nouvelle création, Scènes d’intérieur, le chorégraphe SYLVAIN ÉMARD a demandé à ses interprètes de lui parler d’un objet-fétiche. Le résultat donne un spectacle qui évoque l’intimité, le chez-soi et l’importance des autres dans nos vies.

Ah! La vie d’artiste… Constamment à multiplier les sources d’inspiration, lesquelles ne mènent pas toujours là où on l’aurait souhaité. Sylvain Émard en sait quelque chose. Le chorégraphe a tourné en format vidéo une trentaine d’heures de témoignages et de danse en vue de sa nouvelle création, Scènes d’intérieur. Toute cette pellicule pour finalement la mettre de côté!

Au départ, Émard a demandé à ses interprètes de lui parler d’un objet-fétiche. Un tel lui a raconté pourquoi il s’était entiché d’une breloque ou encore d’un ourson en peluche. Un autre lui a décrit à quel endroit de son appartement repose sa sculpture préférée. Étonnamment, les six danseurs en sont tous arrivés à lui parler d’un être cher. "Je me suis imprégné de ces confidences pour la conception des mouvements", raconte l’artiste, rencontré à quelques jours de la première de Scènes d’intérieur.

En fait, son principal défi consistait à conserver la richesse de ce qu’on lui avait livré spontanément sans que cela ne devienne académique. "Et c’est en me concentrant sur le rapport avec l’autre que ma danse a pris un sens et qu’elle est devenue humaine", dit-il.

Le chorégraphe, qui roule sa bosse depuis une vingtaine d’années, propose avec sa nouvelle oeuvre les mêmes univers feutrés et douloureux que Mensonge Variations (1998) ou Rumeurs (1996). Des univers dans lesquels les décors de Richard Lacroix, la musique de Michel F. Côté et les lumières d’Étienne Boucher demeurent discrètement au service du mouvement. "Le principal changement se situe surtout sur le plan du processus de création. Les danseurs n’ont jamais été autant impliqués dans mon travail."

Scènes d’intérieur fut créé en 18 mois. Accompagné par les danseurs Nathalie Blanchet, Marc Boivin, Sandra Lapierre, Parise Mongrain, Blair Neufeld et Michael Trent, le chorégraphe a été en résidence au Centre culturel d’Aragon, en banlieue de Paris, et à l’Agora de la danse. Et pour obtenir une oeuvre tricotée serré, il avoue avoir jeté par-dessus bord de nombreuses heures de travail. Il a aussi renoncé à se servir de la presque totalité du matériel vidéo: "Il sera peut-être utile dans une future pièce", dit-il en riant. Seules des séquences où l’on voit les danseurs regarder par une fenêtre ont été retenues. "Elles évoquent l’intimité, le chez-soi et l’importance des autres dans nos vies."

De toute façon, quiconque connaît l’écriture chorégraphique de Sylvain Émard sait que ce perfectionniste ne versera jamais dans la démesure technologique. À l’heure où, en Europe, la danse-théâtre s’associe à d’autres formes d’art et véhicule un message politique, lui continue de privilégier le mouvement abstrait, qu’il juge encore riche de nouveaux territoires. "Je me situe aux confins des influences américaines et européennes", dit-il. Néanmoins, cet attrait pour l’abstraction ne l’empêche pas de vouloir en faire émerger une cascade d’émotions. Sinon, pourquoi s’investir dans l’art si l’on ne parvient pas à émouvoir le public? "Dans ma danse, il se passe beaucoup de choses de l’ordre du non-dit."

On peut reprocher au chorégraphe de fouler les mêmes sentiers depuis des années ou de ne pas chercher à bousculer son public à l’instar de ses collègues européens. "C’est utopique de croire que l’on peut changer radicalement de style", se défend-il d’une voix posée. Toutefois, celui-ci n’hésite pas une seconde à bouleverser ses habitudes de création. "Au départ, le processus était éclaté. J’étais obnubilé par l’emploi de la vidéo et des témoignages. Mais tout ça n’était finalement pas présentable." Ce qui importe surtout pour Sylvain Émard, c’est de livrer une danse qui se tienne solidement sur ses jambes et axée sur l’essentiel. "C’est lorsque je parviens à communiquer mon message que je vis enfin en paix."

La paix, le chorégraphe semble l’avoir trouvée. Après les représentations au Studio de l’Agora de la danse, Scènes d’intérieur suivra le même itinéraire que ses dernières oeuvres. Elle fera un saut dans plusieurs villes canadiennes et au Festival Canada Danse, en juin prochain.

Confidence pour confidence: tout de suite après la représentation du 26 octobre, 100 écrivains citeront en public une phrase inspirée de la danse de Sylvain Émard. Qui sait? Le chorégraphe puisera peut-être dans ces brèves performances de nouvelles idées…

Du 24 octobre au 3 novembre
Au Studio de l’Agora de la danse