Vernissage : Hors cadre
Scène

Vernissage : Hors cadre

On n’a pas besoin d’un théâtre pour faire… du théâtre. C’est ce que prouve le Théâtre du Lieu, une petite compagnie fondée en 1999 par de jeunes comédiens, qui s’efforce de jouer dans l’environnement même où se déroulent les pièces qu’elle  présente.

On n’a pas besoin d’un théâtre pour faire… du théâtre. C’est ce que prouve le Théâtre du Lieu, une petite compagnie fondée en 1999 par de jeunes comédiens, qui s’efforce de jouer dans l’environnement même où se déroulent les pièces qu’elle présente. Il y a eu, par exemple, Le Syndrome de Cézanne, campé dans un garage résidentiel à Limoilou, puis repris au Centre international de séjour à Québec, en mars 2000. À surveiller prochainement: un Botho-Strauss joué dans le métro…

Le choix d’un lieu atypique peut être avantageux pour une jeune troupe désargentée. Sa troisième production, très intimiste, loge dans l’atmosphère décontractée d’un appartement aux allures de loft, au coin des rues Masson et d’Iberville. On n’a pas de mal à imaginer que Vernissage et les autres pièces de l’auteur dissident Vaclav Havel, alors interdites en Tchécoslovaquie, ont pu voir le jour dans ce genre de contexte informel…

Cette courte pièce autobiographique écrite en 1975 montre un écrivain dissident en butte aux fausses bonnes intentions de deux amis, qui le reçoivent dans leur appartement nouvellement décoré. N’en finissant plus de faire étalage de ses possessions, le couple donne en spectacle un bonheur trop ostentatoire pour ne pas être suspect. Comme si ces gens souhaitaient se convaincre eux-mêmes qu’ils ont fait le bon choix.

Sous le couvert de l’amitié, Michael et Véra remettent en question, de façon de plus en plus menaçante, la vie de l’intellectuel recyclé dans un boulot manuel. Devant le refus silencieux de Ferdinand, le masque artificiel du couple comblé finit bien sûr par s’effondrer, révélant la vacuité de son existence.

Le texte de l’ex-président tchèque déroule une partition soigneusement construite, avec ses phrases-leitmotiv, sa progression dramatique, son utilisation d’un verbiage superficiel, dévoilant un totalitarisme social qui pousse à se conformer à un certain matérialisme. Plus le couple veut dénoncer le mode de vie de Ferdinand, plus il trahit sa propre tricherie.

Dans son environnement naturaliste (odeurs de friture incluses), ce théâtre d’appartement feutré confine un peu au réalisme une pièce dont n’éclate peut-être pas suffisamment l’intention satirique. Le caractère absurde devient par contre évident quand les personnages pointent du doigt des accessoires invisibles sur les murs nus…

Le malaise de la pièce mise en scène par Luc Roberge se traduit surtout dans les silences, les sourires, les regards. Jouant avec un naturel qui sied bien au contexte, le trio d’interprètes est généralement très juste: la Véra agressivement enjouée d’Isabelle Ross, le Michael suave de Frédéric Boivin, et surtout le Ferdinand réservé et sensible de Michel Savard.

Jouant ce soir-là devant quelques happy few, les comédiens réussissaient même à intégrer dans la trame du spectacle les bruits dérangeants provenant du couloir. Ce sont les risques de cette formule non conventionnelle…

Jusqu’au 27 octobre
Au 5435, rue d’Iberville