François-Étienne Paré : Le compte est bon
: Avec son excellent deuxième spectacle solo, À force de compter sur quelqu’un ou quelque chose, on en oublie ses tables de multiplication, François-Étienne Paré démontre qu’il faudra dorénavant compter avec lui.
Avec son excellent deuxième spectacle solo, À force de compter sur quelqu’un ou quelque chose, on en oublie ses tables de multiplication, François-Étienne Paré démontre qu’il faudra dorénavant compter avec lui. Le touche-à-tout de la chose théâtrale marque des points avec ce one man show aussi bien écrit que joué, où il aborde la quête de sens par le tatouage intégral, et le vide existentiel via le triste destin du duo Milli Vanilli. Pour son personnage, Suri Burin, l’enfer, c’est les autres. Pour François-Étienne Paré, les autres sont des complices avec qui l’on peut se permettre d’être brillant et ensuite nigaud, grave puis tout à fait délirant. Des chums qui comprennent qu’on a tous un trou à l’intérieur, un vide à combler qui nous meurtrit la poitrine…
François-Étienne Paré est l’auteur, metteur en scène et unique interprète de ce spectacle au titre saugrenu. Une lourde charge, qu’il porte avec grâce. Il faut dire que le jeune homme au parcours éclaté ne craint pas les défis. Il anime depuis deux ans le bulletin RDI junior, une performance pour laquelle il vient de récolter un Gémeau; il a enseigné au Collège Jean-de-Brébeuf et à l’UQAM; donné la réplique à Luc Picard dans Lorenzaccio; joué dans le film Du pic au coeur et a remporté le prix Pierre Curzi de recrue de l’année dans la LNI. L’an dernier, il présentait au même endroit le premier volet de sa trilogie sur l’identité, 16 et (3×7) font 16 j’en ai assez merci, l’impertinente et touchante histoire d’un "homme brun" empêtré dans son enfance.
On a tous un trou. Telle est la conclusion à laquelle arrive Suri Burin, un individu qui a été déçu par un autre. Le trou du "qu’en est-il?", le trou du sens, un vide ignoré ou comblé, peu importe, puisque ces deux options mènent à des culs-de-sac. "L’âge ingrat n’est jamais celui qu’on pense. L’âge ingrat est celui des idées. Quand les idées arrivent, ça chie", se lamente Suri. Ce passage ingrat aura lieu "entre 3,5 et 8,7 ans", au moment inoubliable et assassin où les questions "quand" et "pourquoi" céderont la place au "qu’en est-il?". Buri, le "petit péteux de mousse de savon-éléphant", sera immensément déçu par la réponse sans imagination de son père. Fru, comme il dit.
Suivront d’autres déceptions, d’autres croyances réduites à néant. La vie est un trou sans fond qui exige d’être rempli. La vie est ce tuyau qui avale et qui reste vide, écrivait Amélie Nothomb. Suri Burin en fera l’expérience, le coeur déchiré par son professeur de français, la belle Chantal M. Michaud. "Elle porte le nom d’un bijoutier bon marché. Elle est un diamant bon marché. Éternelle mais bon marché", se souvient son ex-élève, qui nous raconte sa déconfiture lorsqu’il revoit son diamant dans un bar, trois ans plus tard – "elle savait boire, moi pas" -, au bras d’un humoriste chauve mais télégénique. Irrésistible, hilarant et troublant.
Les courtes phrases jaillissent des lèvres du comédien comme autant d’hameçons lancés au public. François-Étienne Paré a choisi d’ignorer le quatrième mur et de se produire tout près des spectateurs. La pièce débute d’ailleurs par une affirmation, "tu es assis", qu’il destine à ceux qui le scrutent. Doué pour la comédie, il joue pourtant avec sobriété, laissant la vedette à son très beau texte, qui aborde, entre autres, le drame du sida avec une grande empathie. Peu d’accessoires seront utilisés: des lettres, une boule disco, un micro. Des ambiances sonores discrètes du musicien Yann Falquet ponctuent l’action.
Dans son premier spectacle solo, François-Étienne Paré incarnait Edgie Brown, un homme-enfant qui avait un agneau dans le coeur. Cette fois, il s’est glissé dans la peau d’un autre mésadapté, en qui la petite boule d’angoisse laineuse a fait place à un vide inconfortable. Un trou qui a semblé familier aux adolescents qui remplissaient la salle le soir de ma présence, si l’on se fie à leurs applaudissements nourris. Vivement la troisième séance de cette joyeuse thérapie théâtrale…
Jusqu’au 3 novembre
Salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui