Scène

Jean-Marc Dalpé : En mille morsures

Originaire d’Ottawa, formé en jeu au Conservatoire d’art dramatique de Québec, il a habité longtemps Sudbury. Vivant à Montréal depuis 12 ans, JEAN-MARC DALPÉ se définit pourtant, très clairement, comme Franco-Ontarien.

À ma question de néophyte "Existe-t-il une dramaturgie franco-ontarienne?", Jean-Marc Dalpé répond sans hésiter: "Sûrement! Il y a eu une renaissance de la culture franco-ontarienne, qui s’est affirmée dans sa spécificité à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. Auparavant, nous étions, avec les Québécois, les "Canadiens-français". Puis, avec le mouvement d’indépendance du Québec, il y a eu une espèce de brisure; la notion de Canadien-français est devenue désuète. Il y a eu alors une espèce d’effervescence, une prise de parole, qui s’est aussi faite chez les francophones ailleurs au Canada: au Manitoba, en Acadie, par exemple. En Ontario, ça a donné naissance à un ample mouvement culturel. Si au départ les écrits étaient très liés à la cause franco-ontarienne, les voix se sont diversifiées depuis."

Parmi les artistes de ce renouveau, Jean-Marc Dalpé, comédien et auteur. Il touche d’abord au texte dramatique par la participation à des créations collectives ou "de l’écriture à quatre mains", avec Brigitte Haentjens, Robert Bellefeuille et Robert Marinier, notamment. Son premier texte écrit en solo, Le Chien, créé en 1988 par le Théâtre du Nouvel-Ontario et le Théâtre français du Centre national des arts, lui a valu le prix du Gouverneur général. Présentée quelques fois depuis, en version française ou anglaise, la pièce prend bientôt l’affiche au Trident, dans une mise en scène de Patric Saucier, qui dirige les comédiens Pierre-François Legendre, Rychard Thériault, Roland Lepage, Lorraine Côté et Hélène Florent.

Face-back
Le Chien présente le face-à-face sans concession de Jay, de retour après "sept ans de trips de fou d’un boutte à l’autre du Canada pis des États", et de son père. Dans un village du nord de l’Ontario, où "le soleil ne veut pas aller se coucher", se joue alors une "tragédie moderne", sur fond de famille et d’identité. Autour des deux personnages gravitent le grand-père, tout juste enterré, la mère et la demi-soeur de Jay, ainsi qu’un vieux chien enragé, aboyant sans cesse. Temporalité éclatée, dialogues mêlant narration et confrontation, la pièce va et vient dans le temps à partir d’une scène centrale. "C’est une memory play comme on dit en anglais, explique l’auteur. Tout se passe dans la tête du personnage principal qui revit, longtemps après, la rencontre avec son père."

Pourquoi cette forme éclatée? "En fait, en travaillant à cette pièce, je ne savais pas trop ce que je faisais, confie Dalpé. Ça m’a pris à peu près trois ans. J’accumulais plein de moments, de personnages; je me suis ramassé avec un tas de scènes. Vers la fin, j’ai eu l’idée structurelle: une scène centrale, la rencontre père-fils, puis des allers en arrière et en avant autour de cette scène-là. Aujourd’hui, je ne sais pas si j’oserais faire quelque chose de si complexe… En écrivant, j’ai suivi mon instinct d’acteur. C’est moins une organisation logique qu’une organisation émotive: une scène pousse l’autre, selon une logique interne."

À cette exploration de la structure correspond une exploration de la langue. "Quand tu es en train de participer à une création collective, tu dois choisir une langue qui soit un dénominateur commun. En écrivant seul, c’était la première fois que je pouvais explorer le langage… sans avoir à me retenir. Dans mes autres textes, j’ai continué; ça s’est précisé. Je travaille à partir d’une langue qui ressemble à la langue populaire, à la langue des rues; pourtant, il y a quand même un grand travail, entre autres sur le rythme."

Lignes d’horizon
Outre du théâtre et de la poésie, Dalpé a publié récemment, en 1999, un premier roman: Un vent se lève qui éparpille. "L’écriture dramatique, c’est mon métier; mais il y a toujours des choses dont on a envie de parler et qui empruntent d’autres voies. Sans parler de "jardin secret", ce roman était, disons, un petit territoire à moi. Ce travail-là aussi a été très long: huit ans, à faire alterner écriture et mûrissement. J’avais écrit beaucoup pour Le Chien; puis, j’ai coupé, coupé, pour finalement garder l’essentiel. De toutes ces pages, il me restait plein de choses. J’avais envie de continuer l’aventure: ça a donné un roman."

Si, depuis 10 ans, Jean-Marc Dalpé joue peu, se concentrant sur l’écriture, son expérience de comédien, à coup sûr, nourrit son travail d’auteur. "Il y a une très longue tradition au théâtre de comédiens qui écrivent: Sophocle, Shakespeare, Molière… Il y a un côté très artisanal dans l’écriture de théâtre; c’est un objet qu’on fabrique. Le théâtre est un vieux médium; il a des exigences manifestes dont on a, en tant que comédien, une connaissance de l’intérieur. Comme comédien, dans son corps, on comprend la tension dramatique; avec ça, on peut écrire une pièce qui va intéresser, toucher le public. La sensation de la tension dramatique: c’est ça qui m’a permis d’écrire Le Chien." Même chose, on s’en doute, pour Lucky Lady et Trick or Treat, du même Dalpé; des pièces percutantes qu’on aurait presque envie, parfois, de classer dans le répertoire québécois…

Du 6 novembre au 1er décembre
Au Grand Théâtre
Voir calendrier Théâtre