Alain Buffard / Nathalie Pernette : Le coeur découvert
Scène

Alain Buffard / Nathalie Pernette : Le coeur découvert

Qu’ont en commun Alain Buffard et Nathalie Pernette? Ces chorégraphes français font partie de la série Danse 3 présentée ces jours-ci à l’Agora de la danse, au Musée d’art contemporain et à l’Usine C. Mais surtout, ils proposent chacun de leur côté une chorégraphie inspirée d’un drame personnel.

D’abord, Alain Buffard, qui a mis en mouvement son expérience de patient dans les hôpitaux; alors que sa consoeur, Nathalie Pernette, a transporté sa rupture amoureuse dans une version remaniée du Sacre du printemps.

Alain Buffard demeure celui par qui le scandale arrive. Son solo Good Boy n’est pas de la danse à proprement parler. Il s’agit plutôt d’une "proposition sur l’anatomie" que la critique européenne se plaît à comparer à une oeuvre picturale. "C’est vrai qu’on peut y observer des références à certaines oeuvres plastiques. Mais cela n’est pas très important, car la pièce dépasse ces cadres-là", explique le chorégraphe-danseur de 41 ans.

Dans un décor tout blanc, éclairé par des néons, un homme nu et imberbe accomplit une série de rites étranges et parfois violents, comme celui où il se scotche le sexe avant d’enfiler une dizaine de caleçons. Au départ, le chorégraphe, qui est séropositif, a créé Good Boy en réaction à sa relation avec les professionnels de la santé. Aujourd’hui, cette thématique est reléguée au second plan. "Mes images renvoient à des expériences communes, dit-il. Loin de moi la volonté de donner un coup de poing dans les tripes des spectateurs."

Homme sans compromis, Alain Buffard a abandonné son métier de danseur au début des années 90, pour aller voir du côté des arts visuels si l’herbe était plus tendre. Cet ancien collaborateur de Daniel Larrieu, Régine Chopinot et Philippe Découflé en avait ras le bol de se faire dicter des mouvements sans pouvoir donner son avis. Sa rencontre avec le Quatuor Knust, un groupe de chorégraphes qui explore la danse américaine des années 60, suivie d’un stage en Californie auprès de la chorégraphe Ann Halprin, laquelle s’intéresse à la relation du corps avec la maladie, parvient à le réconcilier avec le milieu de la danse. Avec le Quatuor Knust, il découvre la joie de créer en tant qu’interprète. "Auprès d’Ann Halprin, je réalise des choses que je n’aurais jamais osé faire dans un cadre chorégraphique formel."

Après une retraite de plus de sept ans, Alain Buffard entame une série de créations inaugurée par Good Boy. "Après avoir vu mon solo, un chorégraphe portugais m’a récemment fait le plus beau compliment qu’un artiste puisse faire à un autre artiste: souhaiter être l’auteur de ma pièce."

Les 15 et 16 novembre
Au Musée d’art contemporain

Duo d’adieu
Lorsque Nathalie Pernette a entamé la création du Sacre du printemps, son couple était en train de s’effriter et la santé financière de la compagnie de danse qu’elle avait fondée avec celui-là même qui lui brisait le coeur était plus que chancelante.

Comme pour conjurer le sort, elle a invité son ex-compagnon à unir pour une dernière fois leurs talents dans une relecture chorégraphique de la célèbre musique du Sacre du printemps, mise en mouvement par Nijinski voilà un siècle. "Nous n’aurions jamais fait Le Sacre du printemps si nous n’étions pas arrivés à cette espèce d’urgence, à tenter le tout pour le tout", raconte Nathalie Pernette. "C’est d’abord la version courte pour piano, plus sèche, dénudée et radicale que la version orchestrale, qui nous a séduits. Elle correspondait aux tensions que notre couple vivait à ce moment-là."

À la création du Sacre du printemps, Andreas Schmid et Nathalie Pernette travaillaient ensemble depuis une dizaine d’années. Elle, danseuse de formation, et lui, féru d’architecture et des arts plastiques, ont créé au fil des années trois duos et deux oeuvres de groupe. Le Sacre du printemps incarne pour la compagnie le chant du cygne puisque, en janvier prochain, Schmid/Pernette portera désormais uniquement le nom de Pernette.

Selon la critique européenne, l’écriture chorégraphique de ce couple, qu’on prenait parfois pour des jumeaux, balance entre la forme et le chaos, entre la douceur et la violence. N’empêche que Le Sacre du printemps, en empruntant des mouvements de Nijinski, reste la pièce la plus classique de leur répertoire. "En fait, tous nos duos comportaient une part biographique, constate Nathalie Pernette. Avec Le Sacre du printemps, celle-ci a explosé en plein jour."

Depuis les premières représentations du Sacre du printemps, Andréas Schmid a abandonné la danse et s’est investi dans le domaine des arts plastiques. Pendant ce temps, son ex-compagne entreprenait la création d’un nouveau duo. Plus dansé que Le Sacre du printemps, Suites reflète la curiosité de la chorégraphe pour Les Cahiers de Nijinski. Comme pour la dernière danse des Schmid/Pernette, la musique de Suites est jouée à quatre mains au piano. "Andréas était fatigué de danser et de créer, il a donc préféré revenir à ses premières amours… Et depuis que Sébastien Laurent a pris sa place, l’interprétation du Sacre du printemps est plus juvénile, plus ludique. Et d’un point de vue psychologique, l’atmosphère est nettement plus confortable pour moi."

Du 21 au 24 novembre
Au Studio de l’Agora de la danse

La Belle au bois dormant
Depuis la nomination de Gradimir Pankov à la direction artistique, la programmation des Grands Ballets Canadiens de Montréal a pris un coup de jeune. Exit, les ballets de Balanchine et les reprises de Jiri Kilian, place aujourd’hui à d’audacieuses créations qui ont été applaudies dans de prestigieuses salles européennes.

Voilà qu’à l’invitation des GBCM, le Ballet Cullberg interprétera une version noire de La Belle au bois dormant, signée par l’un des chorégraphes les plus en vue en Europe. Fils d’un célèbre couple d’artistes suédois – la chorégraphe et fondatrice du Ballet Cullberg, Birgit Cullberg, et l’acteur Anders Ek -, Mats Ek adore confronter le bien et le mal dans une interprétation psychanalytique de classiques maintes fois revisités. Sa Giselle, par exemple, devient une idiote originaire d’un milieu ouvrier, qui aboutira dans un asile psychiatrique. Le héros du Lac des cygnes, quant à lui, cherchera par tous les moyens à se libérer d’une mère autoritaire. Dans La Belle au bois dormant, l’héroïne se shoote et le prince, qui n’a plus rien de charmant, tire à bout portant sur la fée Carabosse, transformée pour l’occasion en un mauvais garçon. Me suivez-vous toujours?

Bref, ce conte d’enfants devenu un cauchemar pour adultes n’est peut-être pas la meilleure oeuvre de ce chorégraphe au demeurant génial. Les amateurs de ballets élégants risquent de ne pas y trouver leur compte. Mais pour les autres, la danse sensuelle et violente de Mats Ek vaut mille fois le détour.

Les 22, 23 et 24 novembre
À la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts