Critique : Le Chien
Scène

Critique : Le Chien

Dans un village du nord de l’Ontario, où s’éternise la lumière d’un jour d’été, Jay revient après sept ans d’absence pour une rencontre – ultime – avec son père.

Jusqu’au 1er décembre
Au Trident

Dans un village du nord de l’Ontario, où s’éternise la lumière d’un jour d’été, Jay revient après sept ans d’absence pour une rencontre – ultime – avec son père. Sur le plateau presque nu, hémicycle évoquant arène ou théâtre antique, un ciel aux couleurs changeantes prend presque toute la place: superbe, démesuré, planant au-dessus des désirs et déchirements des mortels jetés sur une terre sèche, aride.

Patric Saucier, metteur en scène, dit lire Le Chien de Jean-Marc Dalpé comme une "tragédie moderne". L’évoquent ce décor âpre (Christian Fontaine), ce ciel immense, ces cinq personnages en apparence perdus sur un plateau représentant une nature austère – "J’haïs toute icitte. Toute. Nomme-lé pis je l’haïs", dira la mère de Jay. C’est un monde trop grand, peut-être, pour répondre aux besoins des humains, accablé par le silence que ne troublent ici que le sifflement du train, promesse de l’ailleurs, et les grognements d’un chien enragé, métaphore du mal qui sourd de ce milieu.

Communication difficile entre un père et sa famille, violence, rêves engloutis par le temps qui passe, quête d’identité, relation amour/haine avec les êtres et les choses: autant de thèmes brassés dans cette pièce dont le texte, rude, rempli d’échos et d’images, se révèle d’une grande profondeur. Il y a tragédie, oui: dans l’impuissance des personnages, broyés par quelque chose qui les dépasse.

La mise en scène s’appuie sur les éclairages (Michel Lévesque), l’occupation de l’espace et le jeu pour rendre la structure éclatée de la pièce, qui mêle époques et lieux. Chaque comédien est tour à tour drôle, grinçant, touchant: Hélène Florent (la soeur de Jay) est lumineuse; Rychard Thériault (le père) apparaît comme un mélange étonnant d’indifférence et de violence contenue; Lorraine Côté (la mère) parvient à provoquer chez le spectateur, parfois en une même phrase, éclat de rire et noeud dans la gorge; Roland Lepage (le grand-père) joue en finesse et sensibilité. Même s’il ne livre pas toujours toutes les nuances ou la profondeur de ce rôle difficile, Pierre-François Legendre interprète avec énergie le rôle de Jay.

Presque toujours en scène, ces figures du passé ou de l’ailleurs assistent à ce qui se déroule. Convoqués par la mémoire de Jay, les personnages, impuissants, semblent veiller sur lui. Dans leur statisme, ils rappellent le choeur de la tragédie grecque: ils guettent, craignent, espèrent. Il ressort de leur constante présence une impression de gravité, de mystère, qui confère à cette pièce dure, aux dialogues crus, une grande charge poétique.