Trois petits chantiers : La création du monde

À partir de quel âge est-on "assez vieux" pour apprécier le théâtre? De passage ici dans le cadre de l’événement France au Québec / la saison, la compagnie parisienne Agitez le bestiaire fait le pari d’intéresser les tout-petits, dès l’âge de trois ans, avec une pièce poétique dans laquelle trois comédiens refont le monde avec du papier, des ficelles, des bouts de bois et quelques bons mots. Pour l’occasion, les bambins sont invités à jouer les observateurs, tandis que ces drôles d’adultes retombent en enfance sous leurs yeux. Trois petits chantiers propose une expérience théâtrale étonnante, qui pourrait jeter les fondations d’une nouvelle approche de ce (très, très) jeune public jusqu’à présent laissé-pour-compte…

Ils arrivent à pas lents en se tenant par la main, revêtus d’un dossard jaune. Ils s’assoient sur des coussins disposés en cercle à même la scène, exceptionnellement entourée d’un rideau. Quand les comédiens (Sophie Hutin, Gwenaël Le Boulluec et Nicolas Vidal) s’installent, pieds nus, "au bord du monde", les bambins les observent avec attention, ponctuant l’action d’éclats de rire aigus. Ils ont trois, quatre ou cinq ans, mais écoutent déjà avec une attention impressionnante.

Les interprètes se réunissent d’abord autour d’une mare blanche de papier, symbole de la planète bleue. Puis, chacun se place dans un coin pour échafauder des constructions au moyen de divers matériaux et bricoler des objets qu’ils s’échangent à travers le cercle posé au sol. Tandis qu’ils fabriquent des marionnettes, couronnes, bateaux, tipis, poissons volants et oiseaux migrateurs, nos trois artisans babillent, sifflent et chantonnent avec nonchalance, ce qui donne des choses du genre: "Ciseaux. Ah ciseaux! Assise au bord du monde…" Les enfants ne comprennent visiblement pas tout ce qui se dit sur scène – "Qu’est-ce que la limonade? C’est une abstraction sucrée…", explique un personnage – mais ils saisissent l’essentiel et s’émerveillent spontanément devant ce théâtre d’objet inventif, efficace et pourtant bien peu élaboré sur le plan technique.

Dirigés par le metteur en scène Bernard Sultan, les comédiens s’amusent à transformer la matière comme s’ils étaient seuls, avec un naturel rare dans les créations destinées aux petits. Sophie Hutin et Gwenaël Le Boulluec marmonnent même certaines répliques; c’est dire à quel point on est loin des autres productions jeunesse, où tout est si aisé à comprendre! En offrant aux mômes un miroir de leurs jeux, la compagnie Agitez le bestiaire cherche à provoquer leur éveil culturel sans verser dans la facilité. Bien sûr, certains petits seront déçus de ne pas être invités à se joindre aux grands enfants qui manient craies et gouache devant eux. Ils quitteront probablement la salle avec une forte envie de bricoler à leur tour une planète paisible où dansent les poissons et volent les fleurs. Insuffler l’envie de créer à un si jeune public, c’est déjà un bon début…

Jusqu’au 25 novembre
Maison Théâtre