Beautés divines : Loin du paradis
Active depuis plus de 25 ans, la troupe québécoise de mime Omnibus se passe désormais de présentation auprès des amateurs de théâtre. Cependant, elle demeure le mouton noir de l’institution, ce qui la coupe d’un public plus large, qui découvrirait avec intérêt un art à part entière.
Cofondateur d’Omnibus, Jean Asselin a approfondi, au fil de l’enseignement comme de la création, une conception bien personnelle du mime. Disciple d’Étienne Decroux, l’un des grands maîtres en la matière, de qui il a reçu l’essentiel de sa formation à Paris dans les années 70, il cumule maintenant une triple profession: il est à la fois mime (acteur), professeur (à l’école de mime qu’il dirige et qui constitue l’une des trois grandes institutions, aux côtés de celles de Londres et de Paris) et créateur (acteur et metteur en scène). Malgré tout, il est d’une simplicité désarçonnante et parle de l’art du mime avec limpidité mais ferveur, mettant tout en oeuvre pour dissoudre le malentendu qui entache la réputation de cette discipline. "C’est un art méconnu; on s’en sert allègrement, mais on n’aime pas en dire du bien, le promouvoir. Omnibus fait partie des rares compagnies qui ne se gênent pas pour afficher leurs couleurs."
Pour mettre en lumière cette obscurité latente, Asselin joue des métaphores et convoque le mythe de Charybde et de Scylla: "Ulysse, en passant le détroit de Messine, aurait eu le choix entre tomber dans le remous de Scylla ou s’approcher de la côte et se faire attraper par le monstre de Charybde. De là l’expression "tomber de Charybde en Scylla", qui signifie quitter un mal pour un autre. Ainsi, le mime rencontre tous les jours deux types de griefs, qui entretiennent les préjugés: d’un côté, on le compare au "théâtre à émotions" – dit-il sur un ton empreint d’un léger mépris -, avec lequel Omnibus n’a rien en commun. Nous ne cherchons pas l’émotion à cinq cennes, mais une émotion formelle, intellectuelle, d’ordre poétique. Puis, de l’autre, il y a ceux qui nous reprochent de ne pas créer l’exploit, comme les acrobates du Cirque du Soleil. Le mime n’est pas un art de l’impossible, et nous ne cherchons jamais l’effet tape-à-l’oeil", précise-t-il.
Pour le créateur, le mime s’inscrit donc parmi les arts de la scène comme une démarche formelle, où rien n’est laissé au hasard. Tout – le travail corporel, la gestuelle, le texte (lorsqu’on l’utilise, à la faveur du reste) – , relève d’une recherche minutieuse sur l’être humain et le monde qu’il habite. Chez Omnibus, on privilégie le questionnement du corps, qu’on conçoit comme une entité rationnelle, qui réfléchit. "On se situe à l’écart des pratiques de Marcel Marceau. Ce dernier a fait connaître le mime dans le monde entier pour le meilleur et pour le pire; le pire étant ce côté mièvre, fleur bleue, avec lequel nous rompons radicalement."
Comme preuve à l’appui, Asselin cite frénétiquement sa dernière création, Beautés divines, qu’Omnibus présentera à Québec, après avoir brûlé les planches de Montréal et de Mexico. Une oeuvre purement iconoclaste, selon lui, et qui s’attaque tant à la religiosité qu’à la politique et à l’art théâtral. Un foisonnement anti-hégémonique qui emploie le corps à la fois comme outil de dénonciation et pour sa grâce intrinsèque. "Je veux travailler à casser cette image d’une Amérique prétendument libre", explique le metteur en scène.
Ne se refusant aucun des plaisirs de la création et mettant à profit cette audace débridée qui caractérise la troupe, il a monté une série de tableaux où la critique du monde moderne passe par la caricature et l’ironie. Un christ qui descend de sa croix pour se masturber et répandre son germe stérile côtoie, par exemple, des scènes où la gestuelle, appuyée par un texte tantôt comique tantôt incendiaire, évoque clairement la suprématie américaine et le fanatisme qui s’ensuit. "J’ai créé ce spectacle bien avant les événements du 11 septembre et, pourtant, ces derniers trouvent une résonance troublante dans le propos que j’ai voulu faire passer, à travers le travail du mime, enrichi par la parole." Si Omnibus met la subjectivité au service d’une recherche formelle avec autant de subtilité que dans ses dernières productions, on peut s’attendre à trouver en Beautés divines une ode au pouvoir du corps et à son questionnement.
Du 29 novembre au 1er décembre
À la Caserne Dalhousie
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