Credo : L’invention de l’amour
Elle se produit sur scène depuis 22 ans; il écrit depuis autant d’années. Elle n’aime pas parler de son métier; il déteste assister aux représentations de ses pièces.
Elle se produit sur scène depuis 22 ans; il écrit depuis autant d’années. Elle n’aime pas parler de son métier; il déteste assister aux représentations de ses pièces. Dans une salle de répétition transformée en espace intime, Monique Spaziani prête vie à l’univers torturé d’Enzo Cormann, devenant "Elle", héroïne sans nom du thriller Credo. Grâce à la direction précise et sensible de Christiane Pasquier, ce spectacle solo prend des allures de rencontre entre un texte ombrageux, écrit par un auteur à l’aube de sa carrière (en 1982), et une interprète lumineuse au sommet de son art, capable de débiter, lancer ou cracher son histoire avec une fougue qui remue l’intérieur. Résultat: le Credo qu’ils proposent cogne dur.
La prestation solo, c’est en quelque sorte l’équivalent du gros plan cinématographique pour l’acteur de théâtre. Unique centre de l’attention, il peut être scruté à loisir, comme s’il jouait sous une loupe. Et là, ça passe ou ça casse. Credo fait partie de ces pièces dont le succès est tributaire de l’interprète. Ce qui se révèle ici une bonne chose, vu l’impressionnante performance qu’offre Monique Spaziani. Il n’est pas aisé d’incarner, durant une heure et quart, une femme au bord de la crise de nerfs sans tomber dans le pathos. Elle parvient à nous faire entendre le bruit des désirs enfouis de cette laissée-pour-compte sans cris inutiles, maître d’une colère qui transparaît dans son corps crispé, sa bouche tordue, son regard dur. Avec les années, le jeu de cette comédienne douce et discrète a gagné en maturité et en nuances; après une dizaine de films, une quinzaine de rôles pour la télévision et une trentaine de pièces de théâtre (dont récemment Trois Soeurs, de l’Opsis, et L’Hôtel des horizons), elle est prête à relever un nouveau défi qui lui permet de démontrer l’étendue de son talent.
Une femme surgit devant nous et dresse la table, en attendant son mari. Elle commence à lui parler, même s’il manque à l’appel. Puis elle entame son repas, sans interrompre ce qui s’annonce comme une longue plongée introspective. C’est avec mépris qu’elle évoquera les hommes qui l’ont marquée et condamnée à la solitude, elle qui n’a jamais connu l’amour. Celle qui se dit "la simple carcasse d’un immense désir" confie avoir pris la décision de reprendre, coûte que coûte, le contrôle de sa destinée. Sans révéler le punch de ce thriller psychanalytique, disons que plus l’assiette se vide, plus l’espoir de voir surgir Monsieur se fait mince…
Après avoir travaillé pour d’excellents metteurs en scène, dont Denis Marleau, Lorraine Pintal et Martine Beaulne, Christiane Pasquier met son expérience à profit et démontre un talent certain, respectant avec sensibilité la partition très précise de Cormann. Heureuse initiative que celle de la directrice artistique Ginette Noiseux, qui a choisi de présenter cette pièce dans un petit espace de 80 places où, pour reprendre ses mots, la scène peut se permettre de tutoyer le spectateur. Mentionnons aussi l’audace du décor incliné tout en contreplaqué de Claude Goyette, qui crée un déséquilibre inquiétant.
Présenté à Paris en 1983, Credo compte parmi les premiers jalons de la carrière bien remplie de l’homme de théâtre français Enzo Cormann, qui délaissa le monologue par la suite. C’est un texte touffu et exigeant; le flux de paroles qui s’échappe de la bouche torturée de Spaziani exige un effort de concentration soutenu. Lourd par moments, ce troublant solo n’en dénonce pas moins avec force l’insoutenable solitude des gens ordinaires, ceux qui toute leur vie dissimulent des violences tues, telles des bombes menaçant d’exploser à tout moment. Difficile de se tirer indemne de ce spectacle. Mais si l’on en sort avec un credo plus humain, c’est que le théâtre aura rempli son rôle…
Jusqu’au 15 décembre
Espace Go