La Semaine de la dramaturgie : Dialogue éclaté
C’est une coutume qui semble désormais inébranlable: au début décembre, le milieu théâtral se réunit autour de la Semaine de la dramaturgie organisée par le Centre des auteurs dramatiques. Un cru 2001 des plus variés.
C’est déjà la seizième édition de la Semaine de la dramaturgie, mais la première sous la direction artistique de Nadine Desrochers et Marie Auclair. Entrées en fonction en août dernier, en remplacement de Diane Pavlovic, les deux conseillères en dramaturgie ont voulu renouveler un peu la tradition, la "signer", tout en lui assurant une certaine continuité.
"Il faut que les gens puissent s’y retrouver, parce que c’est une tradition qui existe depuis longtemps et qui fonctionne, explique Nadine Desrochers, une ex-comédienne d’Ottawa. Ça semble vraiment répondre à un besoin, à la fois de la part des auteurs et du public, d’examiner et de réfléchir ensemble sur la dramaturgie nouvelle. On a essayé de faire une Semaine qui soit vraiment placée sous le signe de la rencontre. On a tenté de stimuler l’échange, afin que les gens du milieu, les auteurs et le public puissent faire une espèce de bilan d’où en est la dramaturgie québécoise présentement, où en est le théâtre."
En plus, bien sûr, des lectures publiques de textes inédits, coeur de la Semaine, l’édition 2001 propose donc une foule d’activités, dont des forums de discussion sur l’apprentissage de l’écriture dramatique, l’édition théâtrale, la traduction, la production… "Il y a des débats qui reviennent souvent, par exemple celui sur la création, explique Nadine Desrochers. Doit-on produire de nouvelles pièces, des classiques, doit-on reprendre un spectacle pour lui donner une vie plus longue que les 20 représentations standard?… Ce sont des questions qui nous sont souvent posées, et ce n’est pas vraiment à nous de répondre. Mais on peut créer une occasion pour que ceux qui ont les réponses, les producteurs, le fassent. C’est ce dialogue qu’on veut provoquer en réunissant des gens qui n’ont pas toujours l’occasion de s’asseoir pendant une heure ensemble."
Mais toutes ces sérieuses discussions n’empêchent pas de s’amuser un brin. Les soirées de fin de semaine se boucleront sur une note festive, avec les "Jam-sessions des mots". Sous la direction du metteur en scène Antoine Laprise, trois braves comédiens prêteront vie à des extraits de textes tirés au hasard.
Côté lectures publiques, la Semaine s’ouvre avec Le Pays des genoux, de Geneviève Billette, à qui a été décernée la Prime à la création 2001 du Fonds Gratien-Gélinas. Les deux docteures en littérature ne tarissent pas d’éloges pour le texte de l’auteure de Crime contre l’humanité, un "petit bijou" destiné au jeune public, mais susceptible de séduire tous les âges. Une histoire emplie de tendresse, mettant en scène des enfants qui veulent partir pour un pays merveilleux où l’amour ne s’épuise jamais, où les genoux sont hospitaliers… "C’est un texte qui nous touche vraiment, assure Marie Auclair. Ce n’est pas si fréquent qu’une oeuvre artistique vienne nous prendre aux tripes. Il y a là quelque chose de viscéral."
Coiffé par le titre "Les Métiers de l’écriture dramatique", l’événement accueille aussi cette année deux textes étrangers: Paroles volées, une "comédie mordante" de la Mexicaine Elena Guiochins, dans une version française de Larry Tremblay; et Dans le sang, un texte "décapant" de l’Américaine Suzan-Lori Parks, que s’est approprié Dominick Parenteau-Lebeuf. "Il y a de plus en plus d’auteurs de théâtre qui sont traducteurs, et ça influe sur leur écriture", souligne Marie Auclair.
Autrement, le menu est très varié. Carole Fréchette vient lire, en compagnie d’un comédien, Le Collier d’Hélène, un texte qu’elle a écrit lors d’une résidence au Liban. Léon le nul, de Francis Monty, est une pièce d’une "poésie hard" sur l’enfance. Un nouvel auteur de Québec, Jocelyn Duplain, présente Cross-Side, un univers "de gars sensible" gravitant autour d’une partie de billard. Aussi de la Vieille Capitale: Il pleut des vies…, de Patric Saucier.
Marie Auclair ne voit pas de ligne directrice dans ce cru 2001. "Ce sont des textes très différents. Mais tous ont ce petit quelque chose qui allume l’intérêt." Un éclatement à l’image de la dramaturgie contemporaine québécoise, selon les deux femmes qui estiment que notre théâtre vit une période de recherche, dans le sens positif du terme. Un décloisonnement des genres et des intérêts, une hybridation des formes. Elles reconnaissent chez plusieurs jeunes auteurs une faculté de se réinventer d’une fois à l’autre…
"Souvent on peut lire plusieurs pièces d’un même auteur, et elles ne se ressemblent pas du tout! remarque Nadine Desrochers. Ça veut dire qu’un dramaturge ne s’installe pas nécessairement dans un style, qu’il essaie quelque chose, puis ensuite qu’il décide d’inventer autre chose. On est probablement à une époque charnière, où le théâtre est celui de tous les possibles. Maintenant qu’il n’est plus restreint par les conventions comme avant, il peut se permettre de vraiment s’éclater. La dramaturgie peut désormais s’ouvrir sur les genres, sur le monde, sur tout, en fait."
Du 4 au 8 décembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui