Joël da Silva : Tout feu tout flamme
Joël da Silva écrit ses pièces pour enfants au pousse-mine sur d’immenses cartons, qu’il roule ensuite et attache par un ruban, à l’image des manuscrits anciens.
Joël da Silva écrit ses pièces pour enfants au pousse-mine sur d’immenses cartons, qu’il roule ensuite et attache par un ruban, à l’image des manuscrits anciens. Cela fait deux décennies déjà que cette voix essentielle de notre dramaturgie s’inspire du passé pour réinventer le présent, oscillant entre l’archaïque et l’actuel, les mythes d’hier et les réalités d’aujourd’hui, le particulier et l’universel. Auteur, compositeur et comédien, Joël da Silva s’amuse avec les lettres comme il le fait avec les notes, sans autre prétention que celle de jouer son rôle d’artiste. Après tout, c’est pas parce qu’on s’adresse aux petits qu’on peut pas penser grand…
"Je sais de plus en plus pourquoi je fais du théâtre." Rencontré dans un café face à la Maison Théâtre, où sera présentée sa pièce pour marionnettes Les Gardiens du feu, Joël da Silva entre sans attendre dans le vif du sujet. "Je comprends de mieux en mieux pourquoi j’aime ce que je fais. Et surtout, je suis de plus en plus l’artiste que je crois être. Et plus on est soi, mieux c’est. Comme on dit: "Sois toi-même et le roi te recevra!"" Il est comme ça, le sympathique da Silva, à la fois léger et profond, capable de grimacer, puis de citer Michel Tournier ou Paul Claudel. Issu d’une famille d’artistes, il s’intéresse depuis toujours au théâtre – "un instrument de musique aux possibilités infinies" – et sa passion l’accapare sans cesse davantage.
"Je n’ai jamais tant travaillé! Le tournant s’est opéré avec la création de ma compagnie, Le Théâtre Magasin (dont la première production, Le Magasin des mystères, était présentée cet automne)." Si le plaisir croît avec l’usage, il en est malheureusement de même de la souffrance, dévoile-t-il. "Plus on sait ce qu’on veut, plus on est conscient de ce qui nous empêche de l’atteindre. Remarquez que la souffrance, avant, c’était de se chercher… alors, on souffre toujours, quoi!" (rires)
Son plus récent opus, Les Gardiens du feu, a été conçu en collaboration avec le Théâtre de l’Avant-pays (Charlotte Sicotte, Impertinence), dont il s’agit de la 28e création. Mis en scène par Michel Fréchette et Michel P. Ranger, ce spectacle raconte l’impossible amitié entre une enfant de la rue (Amulette) et un gosse de riche (Hercule), dont les chemins se rencontrent dans un terrain vague. La mondialisation expliquée aux cinq ans et plus? "Cette fable inspirée du mythe de Prométhée présente une histoire d’amour entre deux enfants, mais elle peut effectivement être lue de manière plus politique. Nous vivons dans un monde où culture du nombril, réussite sociale et spiritualité sont confondues, et ça me choque. Les jeunes ne veulent plus changer le monde, ils veulent juste leur petite place congrue. Moi, je suis fier d’avoir inventé des enfants qui refusent la facilité." À sa manière, Joël da Silva ouvre une fenêtre sur le monde, tout en se défendant de tendre vers le "théâtre-vérité". Pas question de renier sa folie pour plaire à ceux qui voudraient que le théâtre soit sage comme une image…
"Je ne suis pas un papa, je n’ai pas d’enfant, je ne suis pas un professeur, pas un sociologue, pas un pédagogue, pas un psychologue. Je suis un artiste. La question que je pose est: est-ce que l’on peut s’adresser à un jeune public et être un artiste? En ce moment, c’est le point de vue du parent qui domine, mais il y a d’autres voies possibles. L’artiste n’est pas là pour rassurer, mais pour déranger. Je refuse de faire du théâtre Fischer-Price, du théâtre aux coins arrondis, sans risque de blessure. Le théâtre n’est pas un jouet sécuritaire conçu pour plaire à la majorité. Si l’on ne se comporte pas comme des artistes, le danger nous guette!"
Interrogé sur ses projets d’avenir, Joël da Silva confie avoir plusieurs pièces en chantier, dont une pour adultes. Mais ce qui l’intéresse avant tout, rappelle-t-il, c’est de creuser son sillon de plus en plus profondément. "Je veux cultiver mon petit jardin et y faire pousser des fleurs très poétiques…"
Jusqu’au 23 décembre
Maison Théâtre