Requiem pour un con : Les belles et la bête
Scène

Requiem pour un con : Les belles et la bête

La première création de Brigitte Saint-Aubin est à l’image de l’affreux jojo qui l’a inspirée: à la fois aimable et détestable, parfois séduisante, souvent agaçante.

La première création de Brigitte Saint-Aubin est à l’image de l’affreux jojo qui l’a inspirée: à la fois aimable et détestable, parfois séduisante, souvent agaçante. "Petit voleur, grand faussaire, flambeur, vitriolé, dépressif, pessimiste forcené, fier, tricard, addict et violent", selon ses dires, Serge Gainsbourg était tout un personnage, un être de contradictions prisonnier de son image et condamné à se donner en perpétuelle représentation. Il n’est pas étonnant que cette canaille dont la vie était un théâtre ait inspiré une réflexion sur l’identité à la comédienne devenue auteure et metteure en scène pour l’occasion, qui ne se gêne pas pour affirmer qu’elle déteste Gainsbourg l’homme mais qu’elle adore le poète…

Des Sucettes à la Ballade de Melody Nelson, en passant par Poupée de cire, poupée de son, les tubes de Gainsbarre constituent les moments forts de ce spectacle né d’improvisations. "Arrière, messieurs, vous avez fini de glisser vos mains sous nos jupes pour nous manipuler comme des marionnettes!" s’insurgent, en gros, les trois personnages féminins de la pièce, qui rangent au placard leur rivalité pour régler définitivement le cas du méchant Gaston, un séducteur qui les éloigne de leur vrai moi… Entre les chansons interprétées micro en main, on a droit à un résumé de la liaison de Gaston avec ces névrosées au grand coeur: Annie la serveuse pataude (Valérie Cantin, amusante), Zizi la reine du foyer alcoolo (Marika Lhoumeau, expansive à souhait), et Manon la bouchère (Josée Rivard, aguicheuse). "Mieux vaut regretter une absence qu’une présence", écrivait San-Antonio. Disons que quelques secondes en compagnie du fameux Gaston suffisent à nous convaincre de l’urgence d’achever la bête! Comment ces jolies filles ont-elles pu s’enticher de ce porc? Voilà un mystère que le comédien Richard Lemire contribue à épaissir par son jeu faux et caricatural.

Si la première mise en scène de Brigitte Saint-Aubin manque de précision, elle recèle de bons flashs, comme celui de placer les musiciens (François Duval, Jean-Sébastien Cyr et elle-même) derrière un rideau transparent, et d’y situer aussi les ébats de Gaston et de la bouchère. Des collaborateurs inventifs ont été recrutés – dont Véro Boncompagni, qui réalise les projections, la chorégraphe Sandra Parenteau, et Magalie Amyot, qui a conçu un décor dans la lignée de ceux imaginés pour Marianne Vague, Ushuaïa et Une livre de chair, d’Éric Jean – , mais cela ne suffit pas à faire un tout cohérent de cette pièce où tranchent les écrits de Gainsbourg.

Requiem pour un con apparaît au final comme une oeuvre inégale dans laquelle cohabitent le convenu et l’inattendu, le blablabla anodin (de Saint-Aubin) et la poésie géniale (de Gainsbourg). Surtout, cette création démontre que, 10 ans après sa mort, le poète à tête de chou demeure un grand incompris. "On aime une femme pour ce qu’elle n’est pas; on la quitte pour ce qu’elle est", écrivait-il. Devant cette première création qui se cherche, on peut se demander si Brigitte Saint-Aubin s’est intéressée au Docteur Jekyll et Monsieur Hyde de la chanson pour ce qu’il était vraiment…

Jusqu’au 8 décembre
Au Théâtre Prospero