Alexandre Marine : L’interprétation des rêves
Alexandre Marine l’avoue, il adore paresser au lit. Le metteur en scène d’origine russe aime particulièrement se laisser dériver entre les chimères et le monde tangible, dans cet état de demi-conscience où, dit-il, il a l’impression d’être enfin lui-même.
Alexandre Marine l’avoue, il adore paresser au lit. Le metteur en scène d’origine russe aime particulièrement se laisser dériver entre les chimères et le monde tangible, dans cet état de demi-conscience où, dit-il, il a l’impression d’être enfin lui-même. Cette "deuxième réalité" est si précieuse qu’elle est devenue le pivot de la compagnie de théâtre au sein de laquelle, depuis six ans, il s’applique à fissurer le réel pour y laisser pénétrer un peu de lumière… Après un Hamlet encensé, une délirante Salle
no 6 et un déroutant Laquais, la joyeuse bande du Théâtre Deuxième Réalité remet ça avec Ne jetez pas de cendre par terre.
"Imaginez que, soudainement, il se passe quelque chose entre vous et moi, ici même. Que cette pièce devienne une plage, et que surgissent des vagues à l’horizon." L’étonnante suggestion a le mérite de démontrer clairement la frénésie avec laquelle s’active l’imagination du metteur en scène!
Fantasque sous ses airs sérieux, Alexandre Marine émerge périodiquement de son monde parallèle pour présenter au public montréalais ses spectacles oniriques. Cette fois, le directeur du Théâtre Deuxième Réalité porte à la scène une pièce d’Héléna Skorokhodova dans laquelle se croisent deux personnages à l’identité trouble, fin seuls dans un bled perdu de la Sibérie et pourtant incapables de nouer une relation.
L’histoire est classique. Un homme et une femme qui ne se seraient jamais rencontrés autrement sont réunis par des circonstances extraordinaires, cette fois un accident de la route. "Lui" passe le temps au cinéma, attendant que sa bagnole soit remise sur roues. "Elle" se pointe sur les lieux, bien décidée à séduire le survenant… L’intérêt de cette pièce
réside d’abord dans son unité de temps et de lieu, explique Alexandre Marine. "Ce texte contient une séquence inaltérable d’événements même si, en fait, bien peu de choses se produisent. Le défi était de trouver comment briser cette réalité, comment jouer avec la perception du temps et avec les émotions pour permettre au spectateur de voir les choses autrement." Le metteur en scène a entrepris cette quête de l’émotion dès son arrivée au
Québec, il y a neuf ans. "La question qui me préoccupe, c’est de trouver comment, alors que le temps coule sans interruption, démontrer qu’il se produit des choses énormes dans l’esprit des personnages."
Peu lui importe que l’action se déroule dans la patrie de Tchekhov, puisque le désarroi et la solitude ignorent les frontières. "L’émotion aussi est universelle. Et pour moi, le théâtre doit être émotionnel, ce qui lui permet d’être compris de tous." Le metteur en scène, qui maîtrise l’anglais et le russe, affirme n’avoir jamais eu de difficulté à se faire comprendre des comédiens, que ce soit les francophones d’ici ou les Japonais qu’il a dirigés dans Mère Courage à Tokyo il y a deux ans, et avec qui il collaborera de nouveau cet hiver.
Présent à la création de la pièce de son amie Héléna à Moscou, Marine a été fortement impressionné par ce texte dépouillé, qui colle bien à son univers onirique et bouffon. Traduite par Anne-Catherine Lebeau, la pièce sera jouée pour la première fois en sol canadien par Maria Monakhova et Igor Ovadis, deux habitués du T2R: la première est mariée avec le metteur en scène, et a donc suivi de près son travail; alors qu’Ovadis est considéré comme "l’un des meilleurs acteurs de Montréal" par Alexandre Marine. Cette goûteuse brochette russe est complétée par une précieuse collaboratrice, la scénographe Valentina Komolova.
Ensemble, ils ont choisi de travailler en français, même si cette langue s’apparente encore au chinois pour certains. "Les francophones apprécient davantage le théâtre, et ils en débattent passionnément, furieusement même!"
À le voir si heureux de pratiquer son art, il semble évident qu’Alexandre Marine partage l’enthousiasme du public. À preuve, il fait de nécessité vertu en finançant lui-même cette production intime, dont les billets seront offerts en échange d’une contribution volontaire. C’est son cadeau de Noël aux russophiles d’ici…
Jusqu’au 23 décembre
À l’Espace Geordie