Apasionada : Frida et moi
Quinze ans après Vinci, ROBERT LEPAGE revient au Théâtre de Quat’Sous pour créer une autre pièce sur un personnage marquant de l’histoire de l’art: Frida Khalo imaginé et incarné par SOPHIE FAUCHER. Une rencontre prometteuse mais encore imparfaite.
Il faut plus que de l’amour ou de la passion pour transformer un sujet en une oeuvre. Et il faut plus que de l’admiration et de la conviction pour transformer un être humain (aussi légendaire soit-il) en un personnage de théâtre: il faut un point de vue.
Si vous vous intéressez un tant soit peu au théâtre, vous savez fort probablement que la comédienne Sophie Faucher a commis un texte sur Frida Khalo, inspiré du journal de la célèbre peintre mexicaine. Elle en a confié la réalisation scénique au metteur en scène Robert Lepage. En langage de marketing, ça s’appelle un événement. Le résultat, lui, n’est pas encore probant. Esthétiquement très léchée, Apasionada n’a pas encore trouvé le moyen de rendre cette matière historique parfaitement théâtrale, c’est-à-dire d’en extraire l’émotion dramatique. Mais tous les espoirs sont encore permis.
Le metteur en scène, pour le première fois depuis des lustres, présentait la première mondiale d’une de ses créations à Montréal. Réputé pour faire des work in progress, Lepage a l’habitude de retravailler sur ses shows en cours de route. Apasionada pourrait donc devenir meilleur d’ici quelques mois. Il faudra que Lepage et son équipe enlèvent certaines scènes inutiles, en allongent d’autres, et clarifient certaines choses, comme le personnage de la Mort qui m’a semblé trop ambigu…
Bien que Sophie Faucher se défende partout d’avoir écrit une biographie, sa pièce est somme toute très biographique. Ce n’est pas une proposition mais un exposé sur Frida Khalo qu’elle nous offre. On passe à travers le travail, la souffrance, les ambitions, les idées, les doutes, les rencontres et les amours de Khalo. Là où on s’attendait à un show impressionniste, on trouve une série de tableaux illustrant les principaux événements d’une vie difficile mais captivante.
Sophie Faucher a bien tenté de théâtraliser son sujet historique. Elle a situé Frida, vers la fin de sa vie, dans sa chambre, qui dialogue avec sa propre mort (personnage campé par Lise Roy) en se remémorant les grands moments de sa vie. Robert Lepage, lui, a trouvé les éléments scéniques pour rendre ce récit visuellement attrayant. Derrière un écran, où l’on projette, entre autres, plusieurs oeuvres de Khalo et de Diego Rivera, les personnages évoluent autour d’un lit baldaquin amovible, d’un escabeau et d’un chevalet, des éléments qui serviront à illustrer des scènes.
Quant à la distribution, elle n’est pas encore à l’aise avec la technique de Lepage. Elle doit s’adapter aux multiples déplacements et changements de décor pour apprivoiser cette belle bête scénographique.
Sophie Faucher incarne avec conviction la peintre. En plus de lui ressembler physiquement, elle arrive à lui donner une couleur, un ton personnel. Elle en fait une femme à la fois fière et sans orgueil, séduisante et brisée par la malchance. Dommage que son texte n’aille pas plus loin. Car la comédienne se prive de grandes scènes qui aurait permis à sa Frida de vraiment décoller et atteindre la grâce propre aux belles rencontres entre un acteur et un personnage.
Le comédien Patric Saucier est surprenant dans la peau de Diego Rivera, personnage au panache légendaire, mais sa présence n’est pas toujours justifiée. Lise Roy doit défendre tous les personnages que croisent Frida et Diego, dont un chétif Léon Trotski. Malheureusement, certains lui échappent, et l’interprète, pas dirigée, tombe parfois dans la caricature. Souhaitons que son jeu s’ajuste au fil du temps. Finalement, le travail des concepteurs (dont les costumes de Véronique Borböen, et les coiffures-maquillages d’Angelo Barsetti…) est impeccable.
Apasionada est présenté au Théâtre de Quat’Sous à guichets fermés jusqu’au 22 décembre (les billets se sont envolés bien avant la première). Après avoir tourné dans quelques villes européennes, le spectacle sera repris, le printemps prochain, dans une plus grande salle. Et vous savez quoi? La production risque d’être meilleure que celle que j’ai vue jeudi dernier. Le Quat’Sous est une salle beaucoup trop petite pour l’énorme appareil scénographique de Robert Lepage. Il n’y a pas de profondeur ni de hauteur dans cette salle. La scène est collée sur le parterre; les spectateurs n’ont donc pas de recul pour contempler, à sa mesure, le défilé d’images et d’effets visuels…
Dommage pour ceux qui ont déjà leurs billets… Que voulez-vous, il y a des risques à vouloir voir le travail d’une star en primeur…
Jusqu’au 22 décembre
Au Quat’Sous
À guichets fermés