Ne jetez pas de cendre par terre : Bons baisers de Russie
Scène

Ne jetez pas de cendre par terre : Bons baisers de Russie

D’ici Noël, le Théâtre Deuxième Réalité propose au public de découvrir un petit coin de Russie, niché en plein coeur du Plateau-Mont-Royal. Le résultat vaut amplement le détour en  Sibérie…

La nouvelle production du Théâtre Deuxième Réalité, une compagnie formée d’expatriés russes, prend place dans un bled de la Sibérie, où l’arrivée d’un automobiliste constitue un tel événement que le pauvre homme aura toutes les peines du monde à repartir. Intitulé Ne jetez pas de cendre par terre, ce désopilant huis clos de la Russe Héléna Skorokhodova est interprété par les talentueux Maria Monakhova et Igor Ovadis, dirigés par un Alexandre Marine qui a su, cette fois (faute de moyens, peut-être), doser ses envolées oniriques. Le résultat vaut amplement le détour en Sibérie…

Un homme d’affaires qui vient d’engloutir sa Mercedes dans un marécage doit patienter dans un village inconnu. Il s’achète donc un billet de cinéma, sans se douter de ce qui l’attend: il sera fait prisonnier par une demoiselle bavarde, bien décidée à profiter de sa présence pour en apprendre sur les choses de la vie, entre autres le strip-tease, ce mot intrigant qui revient si souvent dans les magazines. "Il n’y a pas de sexologue ici. Il faut régler tous les problèmes tout seul", lui explique-t-elle. D’abord exaspéré par cette femme entreprenante, le moustachu se prendra progressivement au jeu de la séduction. Mais l’amour n’est jamais si simple, surtout entre une vieille fille et un homme marié.

À l’exemple d’autres pièces du répertoire russe, le succès de celle-ci repose sur les épaule des comédiens, dont le jeu riche et profond permet de croire en l’humanité des personnages. La femme qu’incarne Maria Monakhova pourrait être la petite-fille de la Macha de Tchekhov, curieuse de ce qui se trame à Moscou, mais déjà prise au piège en périphérie de la vie.

Malgré un début maladroit (probablement attribuable à la nervosité de la première), l’actrice offre une bonne performance, oscillant entre l’espièglerie et le désespoir. À quelques reprises, l’intonation et le rythme du texte se trouvent toutefois bousculés par celle dont le français est la troisième langue. Comme à son habitude, Igor Ovadis est d’une incroyable drôlerie; à la fois rustre et romantique, il fait retentir les rires à sa première réplique.

Ensemble, ils forment un charmant duo de laissés-pour-compte, particulièrement amusants en première partie, alors qu’ils jouent dos au public. Entamé sur des chapeaux de roues, la pièce perd du rythme en cours de route, notamment lors des très beaux (mais longs) jeux d’ombres derrière l’écran de cinéma. Une musique tonitruante contribue à donner à ces moments des allures de cauchemars.

Ne jetez pas de cendre… est un bel exemple de théâtre pauvre mais inventif, qui offre à Alexandre Marine l’occasion de créer des tableaux corporels éloquents sans que leur ampleur nuise à la progression de l’histoire. Rien de compliqué ici: les costumes de Valentina Komolova sont simples et seyants, tandis que son décor se résume en quelques chaises dépareillées. L’essentiel est dans le texte (traduit par Anne-Catherine Lebeau), qui recèle des répliques irrésistibles et, surtout, une réflexion intelligente sur les affres de la vie à deux. Après tout, ici ou là-bas, la solitude est la même. Mieux vaut en rire…

Jusqu’au 23 décembre
À l’Espace Geordie