Ce n’est pas d’hier que les barbus suscitent la méfiance. Publié en 1697, le célèbre conte Barbe-Bleue de Charles Perrault – probablement son plus sordide, et le moins destiné aux enfants – a été adapté à toutes les sauces depuis, pour le petit comme pour le grand public. Le Petit Théâtre de Sherbrooke en présente, jusqu’au 30 décembre, une relecture moderne d’Isabelle Cauchy pour les bambins de huit ans et plus, dans laquelle la jeune mariée vive d’esprit (Catherine Sénart) triomphe du péril mâle (incarné par Jean-François Poirier) par le seule force de sa détermination, sans même attendre le secours de ses frères. Avis aux coeurs tendres, l’indomptable BB passera alors un bien mauvais (dernier) quart d’heure…
Mis en scène par Louisette Dussault, Barbe-Bleue se compose d’une douzaine de chansonnettes intégrées à l’action, qu’accompagne la musique de Michel G. Côté. Créée en Estrie il y a trois ans, cette pièce musicale a beaucoup tourné depuis, ce qui explique qu’elle nous arrive si bien rodée. On la savait douée pour le jeu, on la découvre dotée d’une très jolie voix; la comédienne Catherine Sénart est irréprochable en épouse taquine au regard énamouré. Jean-François Poirier n’a peut-être pas le charisme de sa partenaire, mais il s’en sort honnêtement en meurtrier apeurant, mais aussi attendrissant.
Bien qu’il soit autoritaire et colérique, Barbe-Bleue n’est pas qu’un salaud. C’est un être complexe et changeant, Docteur Jekyll (quand il fait l’effort de se raser la barbe) et Monsieur Hyde (s’il néglige cette toison qui le rend fou). La pièce débute par une rigolote partie de cache-cache entre les époux, qui se dissimulent derrière toutes les portes qui ceinturent la scène (un décor de château de Mario Bouchard), sauf celle du cabinet interdit… Ils parlent, boivent et se chamaillent, jusqu’à ce que Barbe-Bleue, rasé de près, soudainement repentissant, révèle à sa femme le secret de la pièce interdite… sans savoir qu’elle n’est pas là pour l’entendre! Dominé par ses pulsions destructrices, il sera finalement abandonné à son triste sort par une jeune femme qui comprendra qu’à trop vouloir sauver l’autre, on risque de se perdre soi-même.
La morale de l’aventure? Si ‘histoire de Barbe-Bleue est très ancienne, le personnage, lui, demeure terriblement actuel. Soixante minutes suffisent au Petit Théâtre de Sherbrooke pour en offrir une preuve éclatante…
Jusqu’au 30 décembre
Studio-Théâtre Du Maurier du Monument-National