Pour le meilleur et pour le pire
Théâtre, art du moment présent, tantôt mémorable, tantôt fugitif… Voici quelques instantanés de ce que l’année 2001 nous a offert de mieux et de parfois un peu plus décevant en la matière.
Catherine Morency
Le meilleur: Monsieur Lovestar et son voisin de palier
Dans une salle grande comme un mouchoir de poche, deux finissants de la mouture 2000 du Conservatoire de Québec s’activent à faire connaître la parole d’Eduardo Manet, auteur français d’origine cubaine. Durant quelques jours seulement, Patrick Ouellet et Serge Bonnin joueront Monsieur Lovestar et son voisin de palier avec une finesse et une intelligence qui ne peuvent échapper au spectateur. Plus qu’une simple performance, la pièce devient le terrain d’expériences multiples: les deux comédiens se sont non seulement intéressés à la complexité du texte, mais ils assument également la mise en scène comme la scénographie (minimaliste, audacieuse). Nous avons assisté, en février dernier, à la naissance du Théâtre du Palier; espérons que ses deux fondateurs entretiendront ce goût pour la marge, et qu’ils nous introduiront à d’autres dramaturges aussi pertinents.
Le pire: … Puisque le monde bouge…
La création de la dernière pièce de Michel Nadeau, … Puisque le monde bouge…, au Périscope en avril dernier, est pour moi un moment à oublier. Outre le fait d’avoir invité l’excellent comédien Robert Bellefeuille à jouer à Québec (lui qui ravit habituellement le public d’Ottawa), l’entreprise, trop fragile, échoua sur toute la ligne: un texte convenu, insipide, une mise en scène académique et terne, une brochette de comédiens plutôt bons qui tentent, sans succès, de faire valoir leur talent. Comme l’artisan, l’acteur a besoin d’outils pour créer. Michel Nadeau collabore avec Paris, met en place des ateliers d’improvisation, dirige une école de théâtre. Peut-être n’a-t-il pas vraiment le temps d’écrire du théâtre? Si oui, espérons que ses prochaines tentatives seront plus fructueuses…
Marie Laliberté
Le meilleur: Monsieur Lovestar et son voisin de palier
Monsieur Lovestar et son voisin de palier d’Eduardo Manet, présentée en février par le Théâtre du Palier: petite production sans prétention allant droit au coeur. Réalisée avec peu de moyens, la pièce présente Salcedo, Portugais amoureux d’une Française, cherchant à convaincre Lovestar, traducteur célèbre, de traduire la lettre d’amour de 52 pages qu’il adresse à sa bien-aimée. Lovestar refuse; Salcedo tient bon… Serge Bonin et Patrick Ouellet, finissants de mai 2000 au CADQ, portaient à deux cette pièce avec aplomb et intelligence. En scène durant 1h30, ils plongeaient pour nous dans la vulnérabilité de leur personnage, dont ils révélaient progressivement les couches de sensibilité avec finesse et profondeur. Une leçon de jeu, d’intensité et de simplicité impressionnante, et sans faille.
Le pire: … Puisque le monde bouge…
Création du Théâtre du Frêne, du Théâtre de la Vieille 17, du Théâtre populaire d’Acadie et du Théâtre Niveau Parking, … Puisque le monde bouge… s’annonçait riche d’une telle collaboration. Racontant la journée d’une famille qui se réunit, comme chaque année, le 14 août, la pièce est faite de conversations, repas, disputes. Elle se termine, finalement, sans que l’action n’ait beaucoup avancé, après ce qui apparaît comme une série de moments un peu décousus. Le sujet, volontairement simple, l’est un peu trop pour que l’intérêt n’en vienne à s’étioler, malgré le jeu excellent des comédiens. La mise en scène, très quotidienne, ne surprend ni ne captive; la scénographie, mis à part un jeu de transparence intéressant, offre peu d’attrait. Michel Nadeau, auteur de la pièce, confiait en entrevue: "On espère que le quadruple questionnement sur chaque chose, le texte, la mise en scène, tout, a fait qu’on n’a gardé que ce qui était essentiel, bon, valable." La réponse: peut-être que non. Dommage.
Nicolas Houle
Le meilleur: Le Cid maghané
Le Cid maghané est l’une des oeuvres théâtrales les moins connues de Réjean Ducharme. Longtemps ignorée, on craignait qu’elle ait mal vieilli ou qu’elle n’arrive plus à la cheville de Ha! Ha! ou d’Inès Pérée et Inat Tendu. Il n’en est rien: cette délirante, intelligente et même touchante parodie de la tragédie de Corneille est pleine de magie. Et cette magie, le Théâtre des Fonds de tiroirs a réussi à la rendre avec une minutie et une énergie débordante, trahissant son admiration pour la langue ducharmienne. Interprétation juste et convaincante des comédiens, mise en scène solide et inventive, jouant sur les niveaux de langue et bénéficiant d’un excellent rythme, ambiance musicale collant parfaitement à la pièce, décors permettant de camper l’action sur un territoire imaginaire à mi-chemin entre kitsch et surréalisme, bref, tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cette pièce une réussite. À quand les supplémentaires?
Le pire: Yerma
Pour s’attaquer à la tragédie populaire de Frederico Garcia Lorca, Reynald Robinson s’est entouré de jeunes comédiens talentueux et a fait appel à diverses disciplines pour mieux dépeindre l’Espagne des années 1930. Malheureusement, la chimie n’a guère opéré et Yerma a pris l’allure d’une lourde complainte, rendue de façon laborieuse: les comédiens paraissaient figés, incapables d’habiter l’espace scénique ou d’interagir de façon convaincante, évacuant du même coup toute l’intensité du drame. Même l’intégration de chants, chorégraphies et musiques n’était pas au point. Ces éléments ont nui au bon déroulement de la pièce et, plutôt que de mettre le drame en relief, parvenaient tout au plus à nous servir un parfum d’Espagne voisin du cliché. Dommage, car le texte de Lorca et l’équipe réunie promettaient…