Denis Marleau : Homme de tête
Scène

Denis Marleau : Homme de tête

Mieux connu pour son oeuvre cinématographique, le regretté PIERRE PERRAULT a écrit, au début des années 60, Au coeur de la rose, un très beau texte rarement produit. Le metteur en scène DENIS MARLEAU s’apprête à nous le faire (re)découvrir au Théâtre du Rideau Vert.

Dans son triplex du Plateau, Denis Marleau semble protégé par les milliers de livres qui couvrent totalement les quatre murs de sa salle de travail. Je ne sais pas s’il les a tous lus, mais, chose certaine, l’homme de théâtre les consulte assidûment, comme de précieux amis.

Intellectuel, Denis Marleau l’est, l’assume et le revendique. Pour lui, le théâtre sera intello ou ne sera pas. Réputé pour sa rigueur et son perfectionnisme (qui ont blessé quelques acteurs au passage), le metteur en scène de Maîtres anciens et de Catoblépas croit que le théâtre doit d’abord être au service des idées et de la réflexion esthétique. "De tout temps, les grands combats artistiques relèvent de la pensée des créateurs par rapport à leur art. Pas du vécu des artistes, lance-t-il, lors d’une rencontre chez lui, au lendemain des Fêtes. Je ne monte pas des pièces pour exprimer mes émotions, mais pour échanger avec des créateurs, des concepteurs et des acteurs, puis communiquer le fruit de nos recherches aux spectateurs. L’émotion en art, c’est un concept dangereux. D’ailleurs, c’est en train de tuer le théâtre au Québec! On justifie tout, on dit n’importe quoi sur scène au bénéfice de l’émotion! Pour moi, c’est plus intéressant de mettre une forme artistique sur l’émotion que de faire l’inverse. Bien sûr, il y a de la place pour l’émotion: tout artiste désire émouvoir les autres. Mais il ne faut pas qu’il ne privilégie que ça, qu’il en fasse une valeur absolue. Sinon, on tombe dans le fascisme de l’émotion!"

Le fondateur du Théâtre Ubu et aussi, depuis décembre 2000, le directeur artistique du Théâtre français du Centre national des arts à Ottawa considère qu’il ne fait jamais de compromis dans ses spectacles. Peu importe que ceux-ci soient conçus pour le Festival d’Avignon, le TNM, le Rideau Vert ou pour une salle d’avant-garde (tel son prochain projet, après celui du Rideau Vert, Les Aveugles, qui prendra l’affiche de la salle multimédia du Musée d’art contemporain le 28 février). J’aime proposer des démarches exigeantes et sans compromis partout où je travaille. Le public n’est pas imbécile. Il est capable d’entrer en dialogue avec des oeuvres différentes. Je mépriserais le public si je ne lui donnais seulement que ce qu’il a envie de bouffer. Et je ne serais pas honnête envers moi-même. Or, est-ce que je fais du théâtre élitiste pour autant? Je ne pense pas. Pour moi, faire du théâtre pour l’élite, c’est monter Hamlet-Machine dans une petite salle inconnue pour un public gagné d’avance…"

Dès le 15 janvier, le public du Rideau Vert sera-t-il conquis par Au coeur de la rose, et par la langue, hors du temps, à la fois poétique et proche de l’oralité des contes anciens, de Pierre Perrault? Pour nous aider à plonger dans cette oeuvre qui interpelle notre mémoire, le metteur en scène introduira plusieurs images des films de Perrault afin d’établir un dialogue avec son univers poétique. Il peut aussi compter sur une très belle distribution: Paul Savoie, Louise Laprade, dans les rôles du père et de la mère gardiens du phare; Isabelle Blais, dans celui de leur jeune fille rêvant de s’évader de l’île; Maxime Denommée qui incarne le jeune marin dont s’éprend la fille; Paul Ahmarani, le boiteux; et Claude Lemieux, le capitaine.

Denis Marleau signe ici sa quatrième pièce québécoise (sur pas moins de 25 productions en 20 ans, disons qu’il a touché à notre dramaturgie sur le tard); mais, curieusement, ce texte créé en 1963 par les Apprentis Sorciers à l’ancien Théâtre de la Boulangerie à Montréal, aurait pu être écrit ailleurs, en Scandinavie, par exemple. "Cette oeuvre me rappelle un peu certaines pièces d’Ibsen ou d’autres dramaturges du bout du monde, remarque Marleau. Ce qui me plaît le plus dans Au coeur de la rose, ce sont les effets d’étrangetés. Nous sommes sur une île au milieu de l’estuaire (probablement Anticosti); on sent la nature, le vent, la lune, le fleuve, les marées… Mais c’est aussi bourré de références à l’imaginaire, à l’inconscient, au rêve. L’auteur exprime la profonde difficulté de la transmission entre les générations, entre le monde ancien et moderne. Souvent, l’évolution des sociétés se fait davantage avec des ruptures et des conflits qu’avec la transmission des valeurs. Finalement, Au coeur de la rose, c’est la tragédie du temps qui passe…"

Du 15 janvier au 9 février
Au Théâtre du Rideau Vert