Yves Desgagnés : Plaisir d'amour
Scène

Yves Desgagnés : Plaisir d’amour

Après une année à voir les spectacles des autres de sa chaise d’animateur de télé, à "regarder passer la parade", Yves Desgagnés retourne à ses amours avec son exubérance coutumière et un plaisir manifeste… et quasi  falstaffien.

Après une année à voir les spectacles des autres de sa chaise d’animateur de télé, à "regarder passer la parade", Yves Desgagnés retourne à ses amours avec son exubérance coutumière et un plaisir manifeste… et quasi falstaffien. Le plaisir est d’ailleurs la ligne directrice des Joyeuses Commères de Windsor qu’il monte au TNM.

Rencontré avant Noël, le joyeux metteur en scène juge que la pièce de Shakespeare arrive à point nommé pour nous faire renouer avec une jouissance perdue de vue depuis les événements traumatiques de septembre. "C’est une pièce baroque, irrévérencieuse et légère. Falstaff est un personnage qui aime la vie, ce qui est rare sur nos scènes. Un homme qui aime manger, qui aime les femmes, qui aime voler, qui aime tout de la vie! Et à voir quelqu’un qui aime avec autant de débordement, s’anime Yves Desgagnés en faisant de grands gestes devant son assiette, on se rend compte qu’on a le droit de mordre dans la vie, même s’il nous arrive 150 malheurs. On l’a oublié depuis qu’on vit dans la peur. Je veux que le public perde la tête pendant deux heures."

Pourtant, il avoue que cette comédie où le grand Will raille la bourgeoisie ("c’est fascinant, parce que je crois que c’est la première pièce qui parle de cette nouvelle classe") est "tout croche". "Shakespeare l’a écrite en 15 jours, pour répondre à une commande d’Élisabeth 1re, selon certains patterns de la commedia dell’arte italienne. Aujourd’hui, si notre ami Shakespeare avait donné sa pièce au CEAD, il aurait eu quelques ateliers de réécriture… Normand Chaurette a fait un travail colossal."

Dans Les Joyeuses Commères de Windsor, les personnages féminins mènent le bal. Deux bourgeoises mariées s’ingénient, par de cruels stratagèmes, à faire payer au grossier "sir" John Falstaff ses serments d’amour intéressés. "Les personnages sont incroyables: en trois phrases, tu sais à qui tu as affaire. Et les 17 personnages sont tous plus fous les uns que les autres. Il y a là une envolée, une magie, un plaisir du théâtre, qui est comme le mystère de Shakespeare."
Pour cette espèce de "gros party", emporté sur une musique live de Catherine Gadouas, Yves Desgagnés a convié les Pierrette Robitaille, Normand Chouinard, Emmanuel Bilodeau, Julie Vincent, Nathalie Gascon, Robert Lalonde, Benoit Girard, Stéphane Jacques, Catherine Trudeau… Sensiblement la même distribution que celle prévue il y a trois ans, alors que le projet avait été interrompu par le décès subit de Jean-Louis Millette. "Moi, je ne crois pas qu’un acteur est remplaçable. Mais ma conception du spectacle a changé. Je l’avais beaucoup adapté à Jean-Louis, Falstaff étant un peu le maître d’oeuvre du show. Comme Rémy Girard était désigné pour le jouer, je suis reparti sur une nouvelle piste."

À défaut d’avoir encore l’enveloppe charnelle du rondelet Falstaff, le comédien en possède l’esprit. "Rémy est un gars qui aime la vie, le plaisir, qui a un grand sens de la comédie, qui crée tout de suite une sympathie."

Le spectacle lance parfois un clin d’oeil à la Ribouldingue, à la Boîte à surprises, à "tout ce qui a fait que je suis ce que je suis", et donc aussi un peu au regretté interprète de Paillasson. Classique ou pas, Yves Desgagnés n’est pas du genre à se laisser impressionner. Il a interprété, avec une liberté complète, ses Joyeuses Commères, pièce qu’il a transposée au 20e siècle, et traitée comme s’il s’agissait d’une création.

"J’ai l’impression de préparer un mauvais coup, dit-il en pouffant avec son air de gamin. Parfois, je fais des choix, en disant: je le fais, tant pis. En dépit de ce que la situation commanderait normalement. La principale qualité qu’un metteur en scène doit avoir, c’est le courage. Et c’est très difficile par moments. Mais je suis sûr que Shakespeare aimerait ce qu’on fait."

Entre Desgagnés et le barde, il y a une histoire d’amour… presque épidermique. Le metteur en scène d’un voluptueux Songe d’une nuit d’été commande cette fois une pièce que la publicité du TNM annonce "dévergondée"… "Shakespeare est l’auteur le plus sexué que je connaisse. Même dans ses scènes "cucul" entre jeunes amoureux, il fait constamment des allusions au sexe des hommes et des femmes… Les Joyeuses Commères, ce n’est qu’un sujet de lubricité: un gars qui drague deux madames pour leur voler leur argent. L’attraction entre les sexes est très forte. On aurait pu jouer ça tout nus… (rires)"

Le metteur en scène se demande d’ailleurs pourquoi le théâtre n’est pas plus sensuel. "Pendant ma retraite du milieu théâtral, je me suis rendu compte que le théâtre avait perdu beaucoup de plumes. Il y a une décennie, c’était un art très d’avant-garde, il a même été un leader: la danse s’en est beaucoup inspirée. Or, l’an dernier, je voyais toutes sortes de spectacles, et j’étais gêné des shows de théâtre. Je trouvais que la danse était un art extrêmement inventif, et que, globalement, le théâtre avait vieilli terriblement.

"Comment ça se fait que le théâtre est si désincarné? Que les acteurs sont devant nous sans qu’on soit mal dans la salle? Il y a de la place pour tous les genres, mais je trouve qu’on est beaucoup dans la tête. Ou dans la souffrance. Est-ce qu’on peut parler de la vie, et de toutes ses nuances? Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’implication réelle. On fait bien les choses, et c’est tout. C’est pas normal de voir un Shakespeare sans être au moins déstabilisé comme être humain. Moi, je suis pour un théâtre de la sensualité, où on a presque le goût de monter sur scène…"

Du 15 janvier au 14 février
Au Théâtre du Nouveau Monde