Antigone : Combat d'idées
Scène

Antigone : Combat d’idées

"Par nature, je pense que je suis assez proche d’Antigone, dans la mesure où je suis naturellement rebelle à l’ordre établi…" affirme dans un éclat de rire BRIGITTE HAENTJENS, metteure en scène de la tragédie de Sophocle au Trident. Rencontre avec une artiste engagée.

Écrite vers 441 avant J.C. par l’un des auteurs grecs qui a mené la tragédie à sa forme la plus pure, Antigone présente le destin brutal d’une jeune fille devenue, des siècles plus tard, l’image du combat farouche pour ses idées. Malgré l’interdiction formelle du roi Créon, Antigone donne une sépulture à son frère Polynice, traître aux yeux de tous parce qu’il a combattu contre la cité. Comme la plupart des tragédies grecques, la pièce trouve toujours, deux millénaires plus tard, un écho, signe de la puissance de ces oeuvres.

Ce genre intéresse vivement Brigitte Haentjens. "La tragédie antique m’intéresse sur le plan historique, sociologique et bien sûr, sur le plan du théâtre. Je trouve la forme tragique très proche de la forme contemporaine. C’est un théâtre très poétique, pas psychologique: très "théâtral"."

Outre sa forme, la place de la tragédie grecque dans la société d’alors est particulière. "La réflexion sur la fonction sociale du théâtre fait partie de mes préoccupations. J’ai la nostalgie de ce que pouvait être le théâtre grec. C’était très actif; le public participait. J’aime assez ce côté festif du théâtre, plutôt que la consommation passive que c’est devenu; un truc un peu bourgeois, quoi."

Pas étonnant, dès lors, que cette question de la pertinence se retrouve au coeur de son propre travail. "Je suis une utopiste. Alors j’espère toujours questionner, bouleverser le spectateur. Non pas le satisfaire, lui donner ce dont il a envie – la télévision est faite pour ça -, mais, comme le dit le metteur en scène Claude Régy, "que le théâtre crée des petits foyers d’imagination". Pour moi, le théâtre est un lieu de résistance active."

Elle poursuit: "Je veux faire un théâtre qui ait un impact, même négatif. Ça ne me dérange pas qu’on n’aime pas, ou qu’on soit choqué. Ça ne m’intéresse pas de reproduire des formes connues. J’essaie de trouver – sans prétention – une façon d’interroger, autant socialement qu’émotionnellement. Je ne veux pas faire un théâtre didactique; je veux poser des questions, dont je ne maîtrise pas forcément les paramètres. Je crois à un théâtre engagé."

En quoi son engagement se traduit-il dans sa lecture d’Antigone? "Antigone, c’est le combat de la jeunesse contre la vieillesse, de la rébellion contre l’ordre établi, de l’individu contre la société, de l’humain contre le divin. Moi, ce qui me semble le plus important aujourd’hui, ce serait plutôt l’interrogation sur le terrorisme. Qu’est-ce que le terrorisme? Où ça commence et où ça finit? Parce qu’a priori, l’ordre que prône Créon est aussi valable que celui que prône Antigone. Après les derniers mois, c’est particulièrement intéressant: parce que ce qui se passe, peut-être plus encore en Palestine qu’en Afghanistan, interroge vraiment ça. Pourquoi, à certains moments, est-ce justifié de s’opposer, et pas à d’autres? Et jusqu’où peut-on aller? C’est à ça que je pense le plus; mais on n’a pas pour autant cherché à faire de la pièce une métaphore."

Difficile de jouer une tragédie antique? "Ça pose toutes sortes de difficultés, parce qu’on n’a pas de références; on a des intuitions. C’est vraiment une recherche exigeante. Je suis très attachée au processus de création; j’aime que ça se fasse de façon joyeuse et amoureuse. Et vraiment, l’échange était très riche. Tout le monde a été hyper-généreux avec moi, et avec le spectacle."

Jusqu’au 9 février

Au Théâtre du Trident
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