Brigitte Haentjens : Antigone
C’est une surprenante Antigone que propose Brigitte Haentjens. De la forme antique, elle parvient à transmettre l’intensité, le mystère, qui nous viennent toutefois par des voies inattendues.Au premier coup d’oeil, froideur glaciale.
C’est une surprenante Antigone que propose Brigitte Haentjens. De la forme antique, elle parvient à transmettre l’intensité, le mystère, qui nous viennent toutefois par des voies inattendues.
Au premier coup d’oeil, froideur glaciale. Éclairage très blanc, en chute, pour le prologue, tombant sur les vêtements immaculés des deux soeurs, Antigone et Ismène. Dallage noir, régulier, poli; décor symétrique. Hors du temps, dans un lieu indéterminé, la tragédie s’enclenche, et la dureté de l’environnement présage bien celle des événements implacables à venir.
Puis, apparition saisissante du choeur: les costumes, de tissus aux couleurs et textures différentes, lui donnent une image brute, un peu punk, qu’appuient les maquillages et les cheveux hérissés. Le choeur impressionne par ses mouvements, son jeu, actualisations efficaces et pertinentes de la danse et de la psalmodie du choeur antique.
Rien de réaliste dans cette pièce; en entrevue, la metteure en scène expliquait que la tragédie grecque ne peut se jouer de façon psychologique ou naturaliste. Le jeu des comédiens, en effet, échappe à la psychologie et au quotidien. Les gestes brusques, parfois violents ou frénétiques, étonnants souvent, évoquent, de manière poétique, le trouble agitant les personnages: Antigone marchant d’un pas presque robotique ou tournoyant sur elle-même; Eurydice fléchissant brusquement les genoux; le messager, relatant de tragiques événements, se frappant la tête de sa main. Difficile commande que celle-ci, à laquelle répondent inégalement les comédiens. Certains, dont Évelyne Rompré (Antigone), Roland Lepage (Tirésias), Thiéry Dubé (le choryphée) et, en général, les choreutes, y parviennent de façon impressionnante. D’autres réussissent moins bien; les gestes semblent alors "plaqués", brisant le rythme de l’ensemble, interrompant l’effet ainsi créé.
Le jeu d’Évelyne Rompré est remarquable. Après avoir enterré son frère, Antigone apparaît comme en transe: tremblante, presque tétanisée, entre le refus naturel, tout animal de l’humain devant la mort et sa volonté inflexible. Cette intensité se maintient jusqu’à la fin, notamment dans une scène très belle avec le coryphée.
La catharsis – frisson sacré fait d’horreur et de beauté pure – n’a lieu que partiellement, malgré une fin très belle où Jack Robitaille (Créon) offre d’étonnantes nuances. L’ensemble demeure froid, mais la pièce pose ainsi – c’est ce que cherche la metteure en scène par son travail – de multiples questions. Et on peut imaginer que si le jeu était plus homogène, nous aurions là une lecture très percutante de la tragédie de Sophocle.
Jusqu’au 9 février
Au Trident