Lydia Wagerer : Les jeux grand ouverts
Impossible d’ignorer qui est LYDIA WAGERER quand on s’intéresse le moindrement à ce qui se fait en danse à Québec. Après une année mouvementée, la chorégraphe met le cap sur le plaisir de partager. En toute simplicité, elle nous propose de renouer avec sa poésie et de découvrir un aspect plus léger de son travail.
L’an dernier, Lydia Wagerer s’est mis beaucoup de pression sur les épaules avec son trio À l’orée de tous les paysages. Un travail de création exigeant, une tournée canadienne qu’elle a dû organiser seule, sans compter qu’elle dansait elle-même dans la pièce. Elle avait donc besoin de revenir à l’essentiel. "J’étais pas mal épuisée et c’est facile de perdre la perspective. Pourquoi on danse? Never be rich, never be famous, so who cares? Tu oublies pourquoi tu le fais… Avec ce projet, dans le studio de la Rotonde, je reviens à pourquoi je danse. C’est le plaisir de découvrir, de jouer dans mon imaginaire et dans mon corps et de partager ça avec d’autres: les danseurs, les collaborateurs, mais aussi le public." Petite salle, simplicité technique, programmation qui s’étale sur six soirs, la formule des Mouvements d’intimité de la Rotonde lui permettra de mieux échanger avec le public, croit-elle.
C’est pour se joindre à Danse Partout que cette Torontoise d’origine est venue s’établir à Québec en 1993. Après la disparition de la compagnie, elle a décidé de rester sur place et de contribuer à y faire redécoller la création en danse. Aujourd’hui, elle ne regrette pas. "Je trouve que ça se développe très bien avec la Rotonde [le Centre chorégraphique contemporain de Québec]. La visibilité de la danse a augmenté énormément, estime-t-elle. Il y a un bon public pour une petite ville. Et il y a le fait que des artistes choisissent de s’installer ou de rester à Québec. Les médias aussi sont plus au courant de la danse."
Dynamisme: un terme galvaudé qui décrit pourtant bien Lydia Wagerer. Voilà cinq ans qu’elle organise ses Rencontres informelles, rebaptisées CorresponDANSE récemment. Elle y invite des artistes d’ici et d’ailleurs à livrer leur travail et à échanger avec le public. Elle-même s’y produit régulièrement. Attentive à la relève, elle assure la direction artistique du spectacle des finissants de l’École de danse de Québec. L’an dernier, après avoir créé Les Marcheurs d’eau au Périscope avec le metteur en scène et comédien Patric’ Saucier, elle a participé à l’événement multidisciplinaire en arts visuels Los Latinos del Norte au Mexique. Tout cela, évidemment, en poursuivant assidûment son propre travail de création. Ouf!
Mi-figue mi-raisin
"Ce qui m’intéresse beaucoup, c’est ce qui est plutôt intérieur, sombre: ce qui se passe dans mon for intérieur, c’est pas mal sérieux [rires]. J’aime ça blaguer, comme tout le monde, rire de moi-même, mais je dirais que c’est moins naturel pour moi." Son nouveau spectacle présente ces deux facettes. Le public reconnaîtra facilement le style Wagerer dans le duo J’avais surpris la lueur: introspectif, poétique, évocateur… La seconde partie, qui comporte trois solos, oblique vers une danse plus théâtrale, ludique et spontanée.
Pour J’avais surpris la lueur, la chorégraphe délègue l’interprétation à deux récentes diplômées de l’École de danse de Québec, Rosalie Trudel et Danielle Carpentier. Le contraste entre les deux danseuses l’a inspirée. "Rosalie est plus tranquille, décrit-elle. Elle écoute, elle observe, elle parle moins. C’est une belle danseuse technique. Il y a beaucoup de sensualité, de rondeur, de fluidité dans son mouvement. Danielle est plus nerveuse. Comme danseuse, elle est plus angulaire. Elle a un côté bibitte… Danielle est plus dramatique, plus intense dans l’interprétation; Rosalie, c’est tout son corps qui a une certaine expression, mais c’est plus mystérieux dans son visage." Elle a été touchée de les voir danser ensemble l’an dernier lors des Présentations informelles, de constater l’écoute et le respect qu’avaient ces deux filles l’une pour l’autre. "C’est vraiment un plaisir de travailler avec elles", dit-elle.
Avant son entrée en studio avec les danseuses en novembre dernier, Lydia avait une vague idée de départ: le cosmos, la vie qui naît dans l’eau, puis évolue vers la terre ferme pour que, finalement, l’humain explore l’univers en vaisseau spatial… "J’ai lu, j’avais plein d’images, de lumière…" dit-elle. Mais c’est au contact des deux interprètes que tout a pris forme, entre Rosalie, allégorie de la nature, et Danielle, sorte d’astronaute aventurière… "C’est une atmosphère, un lieu, un voyage, mais à la base, c’est Danielle et Rosalie qui se rencontrent dans l’espace", précise la chorégraphe. Une danse où les portés occupent une large place. En plus de ce duo, chacune des danseuses exécute plus tard un court solo fou et actif.
Le solo de Lydia, plus consistant, a pour titre Air. "J’avais envie de me faire le cadeau, comme interprète, de faire quelque chose de plus théâtral", explique-t-elle. Un personnage a émergé au cours de sa recherche gestuelle sur les rapports de séduction. C’est une sorte d’adolescente maladroite qui vit ses fantasmes de séduction devant son miroir. "Ça me fait du bien parce qu’elle se tient pas très droite, elle est un peu lâche. Elle mâche de la gomme", précise-t-elle. En évoquant le personnage, la chorégraphe se glisse naturellement dans sa peau, devient nonchalante… "Ouais!"
"C’est un cliché, mais les adolescentes sont très conscientes d’elles-mêmes, de la façon dont elles se tiennent. Elles essaient d’avoir l’air cool. Des fois, c’est bien laid et d’autres fois c’est juste énervant. Je ris de ça parce que je suis certaine que j’étais comme ça, mais je ne sais pas à quel point." Sans imiter le comportement des ados, elle s’imprègne de l’énergie propre à cette période de la vie. Elle les a beaucoup observées, analysées. Déformation professionnelle…. "Je suis fascinée par la façon dont les gens se tiennent, déclare-t-elle, par le côté émotif et psychologique du mouvement. Une recherche de mouvement, c’est ça: comment est-ce qu’on exprime quelque chose?"
Comme pour les deux courts solos qu’elle a créés pour Danielle et Rosalie, on retrouve dans Air une interaction entre un personnage et un objet qui fait office d’interlocuteur. Ce qui rend le rapport avec l’autre encore plus frustrant, c’est qu’il ne répond pas. Pour peaufiner le jeu, elle a fait appel à Patric’ Saucier. "Il rentre tellement dans son imaginaire que l’objet se transforme en toutes sortes de choses. Ça m’allume. C’est comme être un enfant et jouer. Le plaisir, c’est le fun à partager. Je découvre que c’est tellement plus facile d’aller dans le studio avec quelqu’un d’autre."
Interactions artistiques
En fait, Lydia Wagerer est à un tournant de sa vie. Ces temps-ci, elle a envie d’accorder plus d’importance aux relations humaines. C’est pourquoi elle a repoussé le lancement de sa compagnie même si elle se croyait prête à franchir cette étape. Le fait d’avoir une compagnie pourrait lui permettre d’embaucher du personnel. Par contre, cela signifierait plus de responsabilités, plus de temps à administrer, du moins au début. C’est la création et l’entraînement qui en pâtiraient… et aussi ses rapports humains. "À mon âge, je réfléchis beaucoup à l’équilibre entre ma vie personnelle et la danse. Est-ce que je veux en avoir plus, de stress? Je ne sais pas… Non. Je connais la réponse, c’est non."
Compagnie ou pas, ce ne sont pas les projets qui lui manquent. Au printemps, elle démarre une recherche danse, vidéo et lumière avec Éric Gagnon, ce qui la mènera jusqu’en 2004. Ils amorceront leur collaboration en improvisant ensemble aux soirées CorresponDANSE des 26 et 27 avril. Comme la curiosité et l’ouverture motivent sa vie professionnelle, la danseuse se réjouit de cette perspective d’évolution artistique.
Dès l’automne prochain, Lydia Wagerer retrouvera le bonheur d’être simple interprète. Pour Harold Rhéaume, un chorégraphe dont elle apprécie les qualités humaines. "L’année prochaine, je me donne à temps plein à Harold parce que je veux vraiment donner toute la place à l’interprète, vraiment vivre dans le monde créatif d’un autre chorégraphe"… en attendant de créer de nouveau pour les autres, puisque c’est dans cette direction qu’elle souhaite continuer.
Les 24, 25, 26 et 31 janvier; 1er et 2 février
Au studio de La Rotonde
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