Des fraises en janvier : Saveur de saison
Scène

Des fraises en janvier : Saveur de saison

On a la main légère au Théâtre d’Aujourd’hui, en matière de programmation. Du principal théâtre de création québécoise, on attend un menu un peu plus costaud, des oeuvres plus substantielles que ce à quoi on a parfois eu droit jusqu’ici sous le directorat de René Richard Cyr…

On a la main légère au Théâtre d’Aujourd’hui, en matière de programmation. Du principal théâtre de création québécoise, on attend un menu un peu plus costaud, des oeuvres plus substantielles que ce à quoi on a parfois eu droit jusqu’ici sous le directorat de René Richard Cyr (comme les très oubliables La Caverne, de Dominic Champagne, ou La Nostalgie du paradis, de François Archambault).

Le régime minceur se poursuit un peu avec Des fraises en janvier. Avec sa tonalité légère, ses coïncidences fantaisistes, son happy end de rigueur, cette comédie amoureuse créée pendant l’été 1998, au Théâtre La Moluque à Carleton, offre un plaisir d’une frivolité un peu incongrue – déjà annoncée par le titre. Comme si ce n’était pas seulement la météo qui était en folie, mais qu’au théâtre aussi, il n’y avait plus de saison…

Ces réserves faites, avouons toutefois qu’il est difficile de bouder son plaisir et de résister au charme printanier, attachant de la pièce d’Evelyne de la Chenelière. La jeune mais prolixe auteure de Culpa a la plume vive dans cette fantaisie joliment troussée, au ton assez original, tendrement humoristique, où émerge une certaine poésie des petites choses et des relations humaines.

Fleurant l’air du temps, Des fraises en janvier parle d’un thème banal, la recherche de l’âme soeur, mais dans une forme qui fait l’économie du réalisme; révélatrice d’une génération qui entretient des rêves irréalistes et tend à inventer l’autre dans sa quête amoureuse, et d’une époque gavée d’oeuvres d’imagination, où la ligne entre fiction et réalité s’estompe de plus en plus.

La pièce met ainsi en scène les mensonges qu’on raconte pour embellir sa vie, la conformer à la forme de ses rêves, à travers la valse-hésitation d’un quatuor. Scénariste qui travaille dans un café, François (Daniel Parent) est amoureux de l’exigeante Sophie (Macha Limonchik), mais la présente à son ami Robert (Benoît Gouin), auquel songe toujours Léa, aubergiste monoparentale et amie d’enfance de Sophie qu’elle cherche en vain dans la grande ville polluée…

On en vient bientôt à ne plus trop départager réalité et fiction, puisque la plupart des personnages se prêtent volontiers une famille, un amour, un emploi imaginaires. Accrochée à une structure légère, qui permet de rapides changements de scènes et de tons, des retours en arrière, la pièce matérialise en un clin d’oeil les souvenirs des personnages ou les scènes du scénario de François.

Jouant de cette forme cinématographique dans un espace ouvert, la mise en scène à la fantaisie assumée de Philippe Soldevila enlève ce pas de quatre comme une danse légère, où Daniel Parent mène le bal avec grande souplesse. Macha Limonchik lui fait une partenaire adorable: on connaît désormais le sens de la comédie de la vedette de La Vie la vie, et son don pour incarner avec une drôlerie attachante et exempte de caricature ces personnages de filles compliquées, irrationnelles, spontanées.

Les charmantes lettres de Léa, touchante et lumineuse Isabelle Vincent, comptent au nombre des bons moments de la soirée. Quant au professeur phraseur de Benoît Gouin, il a droit à son morceau de bravoure: la désopilante crise terminale de l’enseignant, exaspéré par la médiocrité de ses étudiants.

Délicieuse comme une brise de mai, Des fraises en janvier est une gâterie qui fait du bien sur le coup, même si on l’oubliera vite…

Jusqu’au 16 février
Au Théâtre d’Aujourd’hui