Roger Sinha : Vingt fois sur le métier
Scène

Roger Sinha : Vingt fois sur le métier

Les dernières créations du chorégraphe ROGER SINHA, Loha et Thok, à l’affiche ces jours-ci à l’Agora de la danse, exigent la rigueur de la danse classique, la puissance physique des arts martiaux et la dextérité du Bharata Natyam.

Il y a à peine quatre ans, le nom de Roger Sinha était sur les lèvres de beaucoup de directeurs artistiques. C’est qu’on voyait en ce chorégraphe né d’un père indien et d’une mère arménienne l’incarnation parfaite de l’artiste qui savait marier sa culture d’origine à celle de son pays d’adoption.

Le vent dans les voiles et l’ambition solidement accrochée à son bras, celui-ci ne rêvait pas moins d’une carrière internationale. Ainsi, après la conception de quelques chorégraphies, Roger Sinha est invité à signer le spectacle d’ouverture du Festival Danse Canada, l’une des plus importantes manifestations de danse au pays. "Une invitation que je ne pouvais refuser, se souvient le principal intéressé. Sauf que dans les faits, je n’avais presque pas de temps de création à consacrer à cette oeuvre de groupe."

Danse-théâtre portant sur la dépendance des drogues, Glace noire sera accueillie plutôt froidement par la critique qui reproche à l’oeuvre de manquer de colonne vertébrale. "C’est que je ne connaissais pas grand-chose à la dépendance des drogues. Mais c’était pour moi la façon la plus concrète de parler du phénomène de la dépendance." Quatre ans plus tard, Roger Sinha reconnaît lui-même avoir visé trop haut pour ce projet. "C’était une pièce chargée, complexe et finalement pas très honnête."

Le chorégraphe ne manque pourtant ni de courage ni d’honnêteté. Après avoir appris la danse moderne au Toronto Dance Theatre, il immigre au Québec au milieu des années 80. Roger Sinha apprend les rudiments du métier et, du coup, le français chez une troupe de Québec, Danse-Partout. Plus tard, il déménagera à Montréal et dansera pour Jean-Pierre Perreault, Sylvain Émard et Hélène Blackburn. Puis, en 1992, il crée Burning Skin, un solo qui le mènera au Canada et en Europe.

À plusieurs reprises au cours de sa carrière, le chorégraphe remettra en question ses choix artistiques. Tantôt, il réalise une danse-théâtre burlesque à saveur autobiographique (Burning Skin et Chai). Tantôt, il préfère se consacrer uniquement à la danse pure (Le Jardin des vapeurs; From a Crack in the EarthLight). "Longtemps, j’ai voulu transmettre un message dans mes oeuvres. Et la meilleure façon pour moi d’y parvenir, c’était d’utiliser un texte "

Finalement, le mouvement l’emporte sur la parole. Ses dernières créations, Loha et Thok, à l’affiche ces jours-ci à l’Agora de la danse, excluent l’autodérision, sa marque de commerce. "Je me suis dit: "Pourquoi ne pas faire ce que tu sais le mieux faire? Par exemple, c’est facile pour moi de créer, en quelques jours, une vingtaine de minutes de chorégraphie."

L’accueil à la première de Loha (acier en bengali), qui eut lieu à la dernière édition du Festival Danse Canada, en juin 2000, lui donne raison. Le public apprécie l’introduction de délicats mouvements de pieds et de mains s’inspirant de la danse classique indienne dans une oeuvre contemporaine pourtant audacieuse. "C’est un duo plus sensuel que sexuel", explique le chorégraphe-interprète. Sa partenaire d’origine indienne, l’excellente Natasha Bakht, a contribué à ce que l’oeuvre ne sombre pas dans les clichés folkloriques. Enfin, les musiciens Ganesh Anandan et Rainer Wiens livrent en direct chants indiens et morceaux de guitare électrique. "Contrairement à la création de Glace noire, j’ai pris tout mon temps à la création de Loha."

Thok (peau en bengali) est à la fois semblable et différent de Loha. Moins empreinte de danse indienne, plus centrée sur l’abandon, la performance de la distribution se modèle à la personnalité des interprètes. Roger Sinha partage la scène avec trois jeunes danseurs contemporains dont Tom Casey, qui collabore avec lui depuis des années. Ces derniers ont reçu une formation à la gestuelle de Sinha d’une durée de trois mois avant le début des répétitions. Non sans raison, car la danse de Sinha exige la rigueur de la danse classique, la puissance physique des arts martiaux et la dextérité du Bharata Natyam. "Je continue de danser sur scène parce que j’ai encore des défis à relever. De toute façon, je reste sans doute l’un des seuls interprètes masculins au Canada à pouvoir exécuter un tel type de danse."

À la veille d’être père (sa femme doit accoucher ces jours-ci d’un garçon), Roger Sinha a cessé de nourrir des ambitions démesurées ou de chercher à plaire à tout prix. "Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est de bien faire mon travail."

Du 7 au 16 février
Au studio de l’Agora de la danse