Camélias : Fleur sauvage
Scène

Camélias : Fleur sauvage

Si papa est entré dans l’Histoire grâce à une étonnante profusion de grands romans épiques, Alexandre Dumas fils, lui, ne doit sa notoriété qu’à un seul titre: La Dame aux  camélias.

Si papa est entré dans l’Histoire grâce à une profusion de grands romans épiques, Alexandre Dumas fils, lui, ne doit sa notoriété qu’à un seul titre: La Dame aux camélias. Ce mélodrame romantique écrit en 1848 connut un immense succès, et vécut plusieurs vies: le roman devint une pièce, adaptée par l’auteur lui-même, puis un opéra, La Traviata, mélo sublimé par la musique enlevante de Verdi.
Aujourd’hui que son parfum sulfureux s’est évaporé, que peut-on faire de cette histoire, somme toute très morale, d’une courtisane frappée par l’amour, et qui meurt de tuberculose après avoir fait le noble sacrifice de son bonheur? Tout est affaire d’angle d’approche, comme l’a prouvé récemment avec éclat Baz Luhrmann, qui a plus ou moins tricoté son somptueux Moulin Rouge sur cette mince trame (entre autres influences).

Pour sa part, la dynamique compagnie Persona Théâtre bouscule un peu la vénérable Dame de Dumas, avec une adaptation plutôt contemporaine et au second degré. Le plus intéressant dans Camélias est non pas tant le récit lui-même que la façon de le raconter et les effets de mise en scène.

Centré sur la relation entre les deux tourtereaux, le texte de Pascal Brullemans télescope l’histoire de Marguerite Gauthier, qui débute alors que la belle vient de mourir. Avec cette narration à rebours qui prend un peu l’allure d’un rituel funéraire, son atmosphère sensuelle et sa finale presque gothique, Camélias revisite le classique de Dumas sous l’angle d’Éros et de Thanatos. Et la pièce s’interroge sur ce récit qui met en vedette "deux rôles féminins: une putain et une servante"…

La mise en scène du talentueux Éric Jean déjoue régulièrement le mélodrame en introduisant des ruptures de ton, une alternance entre le jeu et la narration, une conscience de la théâtralité. Ici, les interprètes du couple décrochent de leur rôle pour échanger à bâtons rompus, au naturel; là, la servante-narratrice (Josée Rivard) commente le bonheur d’une scène champêtre, introduisant une ironie – et une distance – dans ce tableau par trop fleur bleue.

Sur une trame sonore éclectique et parfois surprenante (chipotons toutefois sur l’utilisation de Porcelain, de Moby, déjà trop récupérée par la pub et le cinéma), la production épouse le rythme syncopé, l’urgence de l’existence de météorite de son héroïne. On fait même l’économie de la scène-clef avec le père d’Armand, évoqué par une silhouette qui passe! Les accessoires de décor (lit, tapis) sont précipités sur scène – nue à part les drapés blancs qui la cernent – comme s’ils surgissaient de nulle part.

Créée il y a deux ans à Chicoutimi, remaniée depuis, Camélias n’est pourtant pas sans faiblesses. Entre les surprises que procurent les idées de mise en scène, l’histoire, portée par une distribution inégale, ne passionne pas toujours. Jeune bourgeois débarqué de sa province, le naïf Armand d’Alexandre Frenette paraît bien fade. Mais bon, c’est un peu le propre des jeunes premiers… L’interprétation est dominée par Anne-Sylvie Gosselin, sensuelle en Marguerite alternativement hautaine et déchirée, magnifiée par les multiples atours dont la pare Ginette Grenier.

Et tant pis si la tragique héroïne paraît un peu trop bien en chair pour une tuberculeuse. C’est le choix bienvenu de ce spectacle que de préférer la séduction au mélodrame…

Jusqu’au 23 février
À la Salle Fred-Barry