O Vertigo : Sous le ciel des lentilles
Avec Luna, O Vertigo nous propose un voyage poétique en apesanteur. Gros plan sur la danse de GINETTE LAURIN.
C’est après avoir vu les photographies de végétaux hyper agrandis de Karl Blossfeldt, que la Ginette Laurin a eu l’idée de se servir de loupes pour faire des close-up sur le corps des danseurs. Une imagerie à la fois vieillotte et très actuelle a découlé de l’utilisation de ces grandes loupes. "Il y a quelque chose dans la déformation qui fait penser aux contes, aux légendes: les gnomes, les elfes… Il y a aussi un côté scientifique. On peut penser à l’échographie. C’est comme si on s’immisçait dans l’état d’être de la personne." En cours de travail, la chorégraphe a constaté que sous certains éclairages, la lentille apparaissait comme une planète. Nouvelles images… "Là, il y a eu l’idée d’infiniment petit et d’infiniment grand, de l’univers, la lune, la face cachée d’une chorégraphie, la face cachée de la lune… On a joué avec ça."
En fait, dès l’ébauche de Luna, Ginette Laurin souhaitait pousser son exploration dans le sens d’un rapprochement avec le spectateur, une démarche déjà entreprise avec En dedans. La vidéo lui permet de révéler certains mystères du mouvement. La retransmission de certaines séquences en direct donne au public un point de vue autrement inaccessible. "Parfois les caméras sont cachées sous un costume, alors c’est comme si on montrait la face cachée de la chorégraphie. On dévoile de façon très poétique comment les choses se passent réellement."
Pour la conception visuelle, Ginette Laurin a fait appel une fois de plus à Axel Morgenthaler, ainsi qu’à Carmen Alie et Denis Lavoie de Trac costume. "L’éclairage renforce cet aspect de flottement, de suspension, de brouillard, dit-elle. Pour les costumes, on voulait une ambiance pure, blanche: encore la référence à la lune." Ces costumes blancs permettent aux danseurs d’apparaître et de disparaître derrière le tulle blanc grâce aux jeux de lumières. "Ce qui se démarque, c’est vraiment la peau, explique la chorégraphe. Quand on veut que le danseur soit plus en évidence, on lui enlève des morceaux de costume."
La manipulation des loupes par les danseurs limite les déplacements, les sauts. S’il y a moins de portés dans Luna que dans les autres oeuvres d’O Vertigo, les expressions du visage et la gestuelle des mains prennent beaucoup d’importance. Les danseurs se touchent tout de même beaucoup. Ils sont même particulièrement complices.
La communication est plus essentielle que jamais entre les interprètes puisqu’ils doivent souvent bouger à l’unisson sans se voir. En studio, les danseurs se coordonnent en utilisant la respiration et des repaires vocaux. La chorégraphe a donc eu l’idée d’amener ces sons sur scène, de les amplifier et de les déformer. Elle apprécie le résultat. "On a l’impression d’être dans le corps de la personne, constate-t-elle. C’est sûr que ça donne un sentiment de grande complicité." C’est le vétéran Kenneth Gould qui fait office de chef d’orchestre.
Cette grande écoute entre les interprètes est une des forces d’O Vertigo. Les neuf danseurs forment un groupe hétérogène, mais uni. Le plus vieux a 43 ans, tandis que la plus jeune en a 26. Ils sont tous avec la compagnie depuis au moins quatre ans et un bon nombre d’entre eux y sont depuis une douzaine d’années. "Je pense qu’entre eux ils sont bien, dit la chorégraphe. Ils aiment travailler ensemble, ils s’aident beaucoup, ils se complètent."
Mme Laurin veille soigneusement à conserver la chimie du groupe quand elle doit remplacer un membre de sa compagnie. Elle exige en plus de chacun de ses danseurs qu’il puisse être soliste avec brio. "J’essaie toujours de les distinguer dans chaque pièce", souligne-t-elle. Chacun a donc son rôle particulier dans Luna. Il y a cependant une danseuse qui ressort. C’est Anne Barry, celle qui flotte avec sa grande robe blanche. Un des moments du spectacle des plus magiques, paraît-il.
Le 19 février
Au Grand Théâtre
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