Théâtre de la Bordée : Critique: Les Justes
Scène

Théâtre de la Bordée : Critique: Les Justes

Camus est un grand auteur. Preuve en est faite, une fois de plus, avec Les Justes.Pour présenter les dilemmes de ces jeunes terroristes de la Révolution russe de 1905,

Nul besoin d’insister: Camus est un grand auteur. Preuve en est faite, une fois de plus, avec Les Justes.

Pour présenter les dilemmes de ces jeunes terroristes de la Révolution russe de 1905, Camus a la réplique juste, directe, la formule opérant de saisissantes synthèses. Montrant la grandeur de ses personnages, il ne gomme pas pour autant leur trouble, leurs doutes, leurs interrogations – les limites, même, de leur action, et de son résultat.

Texte limpide et nuancé, Les Justes n’a pas pris une ride en 50 ans. L’idéal de justice que crient ses protagonistes, l’ampleur sinon l’impossibilité de leur tâche résonnent encore. S’ils puisent leur courage insensé dans la conviction que "la Russie sera belle", il n’en est rien un siècle plus tard. Ni là, ni ailleurs.

Si le texte porte et émeut, la mise en scène (Reynald Robinson) apparaît peu élaborée, misant principalement sur la parole, et le spectacle, un peu inégal. La pièce est lente à démarrer: début entravé par des jeux d’éclairage – alternance lumière et noir – montrant peut-être l’attente des personnages, mais coupant plutôt le rythme, et par le manque de naturel de certains comédiens alors qu’ils doivent, dès leur entrée en scène, transmettre la fébrilité et l’énergie presque désespérée qui les anime. Le jeu, dans l’ensemble, s’ajuste plus tard, malgré quelques inégalités entre les comédiens, et même dans l’interprétation de chacun.

Pour rendre ce texte, huit comédiens, dont cinq, incarnant les révolutionnaires, portent une bonne partie de la pièce sur leurs épaules. Se démarquent Serge Bonin et Frédéric Dubois, impeccables dans des rôles secondaires. Pierre-François Legendre, dans le rôle exigeant d’Ivan Kaliayev, réussit particulièrement dans les scènes où il est seul avec Dora; par moments, toutefois, son jeu manque un peu de fermeté. Quant à Nadine Meloche, elle trouve en Dora un rôle qui, visiblement, l’enthousiasme. Combinant à la lucidité du personnage une fine brèche de fragilité, elle incarne la révolutionnaire avec assurance et acuité. Elle atteint, dans les scènes finales, une intensité assez impressionnante, où se mêlent rationalité hallucinante et bouleversement profond.

Dans un décor dépouillé (Monique Dion), les terroristes sont seuls, enfermés, hors du monde pour lequel ils sacrifient tout; le spectacle – comme la révolution – repose grandement sur ses acteurs… À retenir: la beauté d’un grand texte, et plusieurs moments vibrants.

Jusqu’au 6 mars
Au Théâtre de la Bordée