Estelle Clareton et Hélène Loiselle : Corps en fête
Scène

Estelle Clareton et Hélène Loiselle : Corps en fête

De Julia à Émile, 1949 se révèle la plus importante pièce d’ESTELLE CLARETON. La comédienne HÉLÈNE LOISELLE y incarne une vieille dame qui se laisse porter par ses souvenirs.

Quand l’une parle, l’autre lui jette un regard attendri ou admiratif. Estelle Clareton et Hélène Loiselle ne se connaissent que depuis peu, et pourtant, elles donnent l’impression d’être les meilleures amies du monde. Elles se sont rencontrées pour la première fois lors de la création de Rêves, il y a deux ans. Dans ce spectacle écrit et mis en scène par Wajdi Mouawad, Estelle Clareton incarnait en dansant un souvenir du personnage joué par Hélène Loiselle. Le courant a passé entre elles, et une collaboration est née: la comédienne a accepté de faire partie de la prochaine chorégraphie de la danseuse, De Julia à Émile, 1949.

Étonnant! Après 50 ans de carrière au théâtre, au cinéma et au petit écran, cette comédienne connue et estimée ne s’est jamais mêlée de l’aventure de la danse. Qu’à cela ne tienne! "Accepter un rôle, c’est toujours affronter de nouveaux défis, commente-t-elle. Et puis, Estelle a une façon poétique d’aborder des choses graves. C’est profond sans jamais tomber dans le sentimentalisme."

C’est vrai que les pièces de la chorégraphe abordent des thèmes qui rappellent sans cesse la fragilité de la vie. Pourtant, le deuil, les blessures physiques, la difficulté de faire sa place au soleil ne reflètent que les préoccupations de l’ancienne danseuse d’O Vertigo. Celle-ci a vécu les premières années de la trentaine comme une traversée du désert. Parmi ses remises en question, elle pardonnait difficilement à son métier d’avoir usé son corps bien avant son temps. Le récent décès de son père est venu boucler une réflexion pénible mais nécessaire sur sa vie. Malgré tout, la jeune femme a toujours su préserver une part d’humour dans ses oeuvres. "Parce que j’aime rire et faire rire", dit-elle.

Arborant aujourd’hui une nouvelle tignasse blonde, Estelle Clareton discute librement de sa dernière création. Toujours aussi modeste, elle avoue qu’une semaine de répétitions supplémentaire n’aurait pas été de trop pour son oeuvre, que les interprètes ont énormément contribué à la beauté du spectacle et que sans le précieux coup de main de la metteure en scène Marie-Josée Gauthier et de la directrice artistique de Montréal Danse Kathy Casey, elle aurait eu du pain sur la planche. Allons donc! Cette excellente danseuse a su, en quelques années seulement, imposer une signature dans le paysage chorégraphique montréalais. D’ailleurs, Montréal Danse, l’Orchestre Métropolitain et le Théâtre de Quat’Sous ne se sont pas trompés en lui commandant des chorégraphies.

Mais de toutes ses danses, De Julia à Émile, 1949 se révèle la plus importante. Hélène Loiselle y incarne une vieille dame qui se laisse porter par ses souvenirs. "Je me suis attardée sur le fonctionnement de la mémoire ou comment se construisent les souvenirs", raconte la chorégraphe. Après des années à flirter avec le théâtre et le cinéma, la jeune femme assume de plus en plus son statut de chorégraphe. "J’ai maintenant envie de rythme, de danse."

Coproduite par Danse-Cité et Montréal Danse, De Julia à Émile, 1949 réunit les comédiens Hélène Loiselle et Denis Lavalou, la troupe de Montréal Danse et les danseurs Daniel Soulières, Mark Shaub et Danielle Courtois. "Au départ, Danse-Cité me proposait de participer à un volet Interprètes, mais ça ne me tentait pas vraiment, raconte Estelle Clareton. J’avais plutôt envie de chorégraphier un projet qui me trottait depuis longtemps en tête."

Pour Hélène Loiselle, travailler avec Estelle Clareton fut comme des vacances. La comédienne incarne un personnage souvent silencieux, lequel esquisse quelques mouvements. Sourire en coin, elle raconte le jour où elle a improvisé des mouvements en compagnie du Daniel Soulières. "J’ai créé des petits gestes réalistes qui n’avaient rien à voir avec les grands gestes abstraits de mon collègue." Elle fut également surprise de constater combien la danse exigeait une bonne part de générosité de ses artisans. "Ils peuvent se débarrasser en un clin d’oeil d’un segment chorégraphique qui a pourtant exigé une semaine de travail", raconte-t-elle, encore déconcertée. "Mais c’est ça, travailler dans l’abstraction", soupire Estelle Clareton. Difficile de diriger une comédienne de la trempe d’Hélène Loiselle? "En fait, je n’ai pas eu à la diriger puisque tout s’est fait de façon naturelle", dit Estelle Clareton.

Finalement, il ne faudrait pas se laisser rebuter par le lieu du spectacle, situé à l’autre bout du monde (métro Fabre). L’endroit se prête, paraît-il, merveilleusement bien à la danse.

Du 22 février au 2 mars
Au Théâtre des Deux Mondes