Marie-France Marcotte : Femme de rêve
La production du TNM d’Un tramway nommé Désir est l’un des rendez-vous les plus attendus de l’hiver. En incarnant le rôle mythique de Blanche Du Bois, MARIE-FRANCE MARCOTTE réalise un vieux rêve.
Existe-t-il dans le répertoire un rôle féminin plus mythifié, plus complet que Blanche Du Bois? La chose se discute, mais Tennessee Williams a assurément créé là un personnage qui a imprégné durablement l’imaginaire. Et fait rêver des générations de comédiennes.
Marie-France Marcotte était l’une d’entre elles. En 1998, en entrevue pour Les oranges sont vertes, elle avait exprimé son désir d’incarner Blanche Du Bois. Eh bien, merci la vie – et René Richard Cyr: dans deux semaines, ce sera chose faite. Avec à bord des interprètes tels François Papineau (Stanley), Isabel Richer (Stella) et Pierre Lebeau (Mitch), la production du TNM d’Un tramway nommé Désir est l’un des rendez-vous les plus attendus de l’hiver.
Dans cette pièce comme dans toute son oeuvre, "Williams n’a eu de cesse de fouiller les déchirements entre l’âme et la chair, sans jamais pourtant les exorciser", affirme Cyr – qui a déjà monté Soudain, l’été dernier et La Ménagerie de verre. Et c’est ce qui frappe encore dans ce chef-d’oeuvre écrit en 1947: tout le climat de sexualité qui sourd dans la touffeur de La Nouvelle-Orléans. La force du désir, tramway qui tire toute la pièce et fait des ravages.
Belle du Sud qui a connu des jours plus glorieux, Blanche s’accroche à sa séduction fanée et à ses chimères dans l’espoir de trouver enfin un havre dans les bras d’un brave homme. Mais l’attirance latente – et forcément refoulée, culpabilisée – qui court entre elle et son brutal et détesté beau-frère causera sa perte…
On a vu dans ce personnage qui préfère la "féerie au réalisme", écartelé entre un désir qui ne peut s’exprimer et son aspiration à un idéal, à la fois la représentation de la soeur schizophrène de Williams, dont le fragile fantôme hante toute son oeuvre, et de l’auteur lui-même, qui y projette ses propres tourments par rapport à sa sexualité illicite.
Pour Marie-France Marcotte, Blanche Du Bois est d’abord un grand rôle féminin. "C’est un gros défi. Mais je suis bien entourée, et le fait d’être dirigée par René Richard, ça me rassure beaucoup. Blanche a tellement de couches! Moi, c’est ce qui me fascine: de découvrir l’être humain dans toute sa complexité, dans sa beauté et sa souffrance. J’ai toujours de la misère à parler de mes personnages, parce que je suis une instinctive. Mais je peux dire que c’est une femme très souffrante. Mon rôle, c’est de ne pas la juger, de la défendre. C’est très facile de tomber dans le jugement: on apprend dans la pièce qu’elle a eu une histoire avec un adolescent… Mais je vais essayer de la jouer du mieux que je peux, avec ce que je suis."
Entre la fragilité et la sensualité, la mythomanie et la conscience, Blanche recèle une étonnante palette de couleurs. "Elle est d’une grande complexité: c’est une femme dans laquelle il y a toutes les femmes. Il y a celle qui porte différents masques, dépendamment avec qui elle se trouve, mais aussi celle qui enlève elle-même son masque. Elle sait très bien qui elle est et ce qu’elle a fait. Blanche affirme: "Je ne dis pas la vérité, je dis ce que la vérité devrait être!" Pour moi, elle n’est pas fausse. Elle se protège parce qu’elle est fragile. Comme tous les êtres humains. Sauf que la vie a peut-être été plus rough pour elle. Elle a tout perdu. Puis elle s’est perdue dans le désir."
"Blanche est différente, en fait. Elle n’est pas folle! Mais la différence dérange beaucoup." Une différence qui tient notamment à son désir, inconcevable à l’époque. "Même en 2002, il y a encore des choses qui sont plus admises pour les hommes que pour les femmes."
Pour Marie-France Marcotte, qui analyse son personnage avec la même compassion ardente que si elle était réelle, Blanche choisit l’illusion, ultime refuge contre une réalité trop insupportable. "Je préfère dire illusion que folie. Parce qu’on a décidé d’en faire un choix. C’est trop facile de la juger comme étant folle. Elle en arrive à cette finalité à cause de toute une vie de souffrances."
Son défi? Jouer cette souffrance en ligne de fond, sous les divers masques de Blanche. "Ce sont de grands états excessifs, et c’est fantastique à interpréter. En même temps, c’est dur, parce que Blanche vient jouer dans des zones troubles. Pour moi, le blanc n’existe pas sans le noir, la souffrance sans la joie de vivre. Tout est dans les contradictions. Mais il y a des personnages, comme Blanche, qui nous demandent d’aller dans des zones d’ombre. En même temps, il faut en rire. J’ai ri toute la semaine dernière en répétitions. J’ai besoin de ça. Parce que j’aime la vie, je n’ai pas envie de sombrer comme Vivien Leigh. Je veux continuer à jouer, moi…"
D’ailleurs, la comédienne doit faire abstraction de la performance de son illustre prédécesseure, qui a créé le rôle à Londres et l’a marqué pour toujours sur pellicule dans le mythique film d’Elia Kazan "J’essaie d’être à l’écoute de ce que le texte vient résonner en moi."
Elle rêve de cinéma, et commence à peine à y toucher. Depuis le début de sa carrière, en 1989, l’actrice a fait son chemin patiemment. "Je n’ai pas eu des débuts fracassants. Ça a été une marche après l’autre. Je savais déjà au Conservatoire que ce n’est pas en sortant que tout m’arriverait, parce que j’étais la plus vieille de ma classe. Et ironiquement, c’est plus tard qu’on s’est mis à me demander pour les jeunes premières… Mais je savais que ce serait long. Et c’est correct comme ça. Les choses m’arrivent (quand elles doivent m’arriver)."
Ces dernières années, le théâtre l’a gâtée, avec de beaux rôles, où elle a pu exprimer à la fois son tempérament et sa fragilité. Cette grande émotive a paru particulièrement remuée par son Masque d’interprétation, récolté pour Les oranges sont vertes. Une reconnaissance importante, quand on provient d’un milieu étranger à la culture. Comme si on lui disait: tu es dans le bon monde… "C’est vrai, je viens de loin. Il n’y avait pas de livres chez nous. C’est très tard que j’ai voulu devenir comédienne. J’avais l’impression qu’il fallait avoir lu beaucoup pour faire ce métier-là."
Erreur. Aujourd’hui, elle reconnaît la genèse de son rêve dans l’influence familiale. "Mais ce n’était pas ce que je pensais: c’était dans la vie, pas dans les livres! Mes parents sont près de qui ils sont, de leurs émotions. Et être comédienne, c’est aussi ça: être proche de tous ses états humains. Ceux qu’on aime et ceux qu’on n’aime pas."
Du 5 mars au 4 avril
Au Théâtre du Nouveau Monde