Après la pluie : La peur du vide
Scène

Après la pluie : La peur du vide

À en croire certains, le fumeur serait le nouveau martyr contemporain, brimé par l’intransigeance de ses semblables aux poumons sains et par l’hypocrisie d’une société aseptisée. Pour l’auteur catalan Sergi Belbel, la cigarette devient accessoirement le symbole des libertés qui partent en fumée dans le monde hautement compétitif qui est le nôtre…

À en croire certains, le fumeur serait le nouveau martyr contemporain, brimé par l’intransigeance de ses semblables aux poumons sains et par l’hypocrisie d’une société aseptisée. Pour l’auteur catalan Sergi Belbel, la cigarette devient accessoirement le symbole des libertés qui partent en fumée dans le monde hautement compétitif qui est le nôtre…

Écrite en 1996, la comédie grinçante Après la pluie campe une humanité vertigineuse, sur le bord d’un précipice où elle menace de chuter à tout moment. Les employés d’une haute tour à bureaux sont soumis à un régime stressant et à l’interdiction totale de fumer. Leur seule transgression dans cette boîte minée par une âpre compétitivité, la délation et le spectre du congédiement? En griller une, en toute clandestinité, sur le toit de l’immeuble. S’y croisent le directeur administratif sur la voie du divorce (Normand Lévesque), un quatuor hétérogène de secrétaires désignées par leur seule couleur de cheveux, un coursier amoureux mais timide (Paul-Patrick Charbonneau), un informaticien nerveux (Michel Poirier)…

Bien évoqué par la scénographie de Jean Hazel, avec sa silhouette d’édifices vus du ciel, le toit devient le territoire – et la métaphore – des fantasmes, désirs et rancunes qui ne peuvent s’exprimer dans ce milieu professionnel aride et réglementé. Et les rêves et cauchemars qui hantent l’imaginaire de ce petit monde, ces sortes d’embardées du réalisme (un crash d’hélicoptère dans un immeuble prend désormais de sinistres résonances…) constituent le meilleur du texte coloré de Belbel, qui recèle de bons flashs.

Mais les dialogues, qui explorent des thèmes plus convenus comme les jeux de pouvoir, les jalousies professionnelles, les flirts de bureau, et qui révèlent les drames de chacun, n’ont pas toujours cette folie aérienne, cette exubérance occasionnelle de la langue.

Quelque chose s’est-il perdu dans la traduction de Jean-Jacques Préau ou la mise en scène soignée mais peut-être un peu trop sage de Michel Nadeau? L’ honnête spectacle coproduit par le Théâtre Niveau Parking ne décolle pas tout à fait, comportant ses longueurs.

Pourtant, on a droit à quelques bonnes compositions d’une faune passablement typée, surtout ces femmes au bord de la crise de nerfs: les secrétaires très contrastées (Véronika Makdissi-Warren, Linda Roy, Marie-Josée Bastien et Lorraine Côté), et la directrice exécutive froidement ambitieuse de Danielle Lépine, la méchante de service. Car dans le théâtre catalan comme dans le québécois, les personnages féminins semblent être les plus forts…

Jusqu’au 30 mars
Au Théâtre Jean-Duceppe