

Cirque Éloize : Poussière d’étoiles
De Havre-aux-Maisons à Broadway, le Cirque Éloize gravit peu à peu les échelons de la reconnaissance internationale. Le cirque nouveau est en santé.
Luc Boulanger
Détendu. Il semble plutôt détendu dans le hall du City Center sur la 55e Rue. À moins d’une heure de la grande première new-yorkaise de Cirque Orchestra, Jeannot Painchaud n’a pas le trac. "Par contre, je suis très excité", rétorque le directeur général et cofondateur du Cirque Éloize.
La semaine dernière, un temps radieux régnait sur Manhattan. À la sortie du spectacle du Cirque Éloize, ravis, le public et la critique manifestaient une humeur printanière. La veille, deux pages élogieuses dans le New York Times avaient lancé le buzz. Les billets des cinq représentations étaient presque tous vendus. Une équipe d’une chaîne de télévision japonaise (NTV) se trouvait dans la Grosse Pomme pour tourner un documentaire sur Éloize. Jeannot Painchaud pouvait bien être confiant.
On le serait aussi. En huit ans, la compagnie fondée par sept jeunes artistes originaires des Îles-de-la-Madeleine s’est rapidement positionnée sur le marché international du cirque nouveau. Un art qui, depuis une quinzaine d’années, ne cesse de se réinventer et demeure en pleine expansion. Rompant avec la tradition des Chinois, des Russes et des grandes familles européennes, le cirque nouveau (c’est ainsi qu’on le qualifie) va chercher des créateurs de tous les horizons dont le mandat est de décloisonner le genre. À Montréal, on l’a constaté avec le Cirque du Soleil. On le voit maintenant avec Éloize et Éos. Et on le verra plus tard avec d’autres troupes qui émergent, faisant de notre ville une nouvelle métropole du cirque nouveau, et avec la naissance de la Cité des arts du cirque dans le quartier Saint-Michel.
Jeannot Painchaud est convaincu que tout le monde peut se faire une place au soleil, pardonnez-moi le jeu de mots. "Bien sûr, le Cirque du Soleil a mis Montréal sur la carte. Mais, à mon avis, ce qui fait la réputation de Montréal dans le milieu, c’est surtout l’École nationale du Cirque. On est presque tous issus de cette institution. C’est une des deux grandes écoles de cirque en Occident avec Châlons-sur-Marne, en France."
En avant la musique
Présenté vendredi soir à la Salle Wilfrid-Pelletier, pour deux représentations, dans le cadre du Festival Montréal en Lumière, Cirque Orchestra est un exemple parfait de mélange de diverses disciplines pas naturellement associées à la vie de saltimbanques. Jeannot Painchaud est allé chercher un metteur en scène formé en danse-théâtre (Alain Francoeur), une chorégraphe ayant travaillé avec Carbone 14 (Johanne Madore), et – l’innovation – la collaboration d’un orchestre de musique classique toujours différent. À New York, c’était l’Orchestra of St-Luke’s; à la Place des Arts, ce sera l’OSM qui accompagnera les 15 acteurs-acrobates-danseurs au son d’un répertoire principalement romantique (Tchaïkovski, Barber, Saint-Saëns…).
C’est d’ailleurs le personnage d’un violoniste (interprété par Peter James) qui amène le côté narratif du spectacle. Ce dernier abandonne l’orchestre au début pour suivre les acrobates et assouvir sa soif de liberté. Ce qui donne plusieurs moments loufoques qui plairont aux grands et petits enfants. Car Cirque Orchestra est avant tout un voyage initiatique au pays du dérèglement des sens, celui de ces hommes et de ces femmes qui passent des années à peaufiner un numéro de cirque. Dans ses meilleurs moments (le spectacle est malheureusement inégal), Cirque Orchestra ressemble à un ballet célébrant la grâce et la perfection corporelles (il faut souligner l’excellent travail de Johanne Madore aux chorégraphies.)
"Mon but était de décloisonner les genres, explique le metteur en scène Alain Francoeur. Je voulais border les numéros de cirque en ne soulignant pas seulement leur aspect performatif, mais également leur côté sensitif. Pour moi qui s’intéresse depuis longtemps à l’expression du corps, c’est un beau défi que d’approfondir son langage autrement qu’avec des danseurs professionnels."
"On a installé un quatrième mur, ajoute Johanne Madore. Les acrobates ne sont pas uniquement des performeurs. Au-delà des prouesses techniques, ils approfondissent leurs numéros et développent une théâtralité propre à leur personnalité."
Autre caractéristique du Cirque Éloize: tous leurs spectacles sont créés pour des salles à l’italienne et non des chapiteaux. Deux des trois productions de la compagnie sont actuellement sur la route (Excentricus et Cirque Orchestra, créé à Trois-Rivières à l’été 2000.) Leur prochaine pièce, intitulée Nomades, sera aussi créée à Trois-Rivières, le 26 juin, et son metteur en scène sera Daniele Finzi Pasca (le créateur du touchant Icaro présenté à l’Usine C il y a quelques années). Après la musique symphonique, Nomades va intégrer des chansons, confie Jeannot Paichaud: "Tout est possible. Il pourrait y avoir du cirque avec un texte dramatique, ou de la musique heavy metal. Je sens qu’il y a vraiment une émergence, que ça va éclater de tout bord. En France actuellement, ce qu’il y a de plus avant-garde dans les arts de la scène, c’est le cirque! On y trouve des artistes de tous les horizons."
Comment explique-t-il cet intérêt? Le cirque est-il le nouvel art branché? "Le cirque a toujours fait rêver les gens. Son côté périlleux fascine tout le monde; les acrobates se surpassent physiquement. Ils prennent des risques. Comme des athlètes olympiques. Or, sa poésie a longtemps été sous-estimée. Plus maintenant."
En effet. Après l’expérience multidisciplinaire d’Éloize, les Montréalais pourront voir, à la fin avril, la mise en scène de Dominic Champagne (Cabaret Neiges Noires, L’Odyssée) pour la prochaine création du Cirque du Soleil. Éloize, de son côté, reviendra d’une tournée à Tokyo en mars.
Qu’on se le dise. Les artistes de la scène contemporaine ne peuvent plus bouder les arts du cirque. Ce serait trop risqué…
Le 1er mars à 18 h 30 et 21 h 30
À la Salle Wilfrid-Pelletier